Il y a chez Angéline Couvreur une passion qui ne trompe pas. Lorsqu’elle parle de son métier, son regard s’illumine et ses mains s’animent. Jardinière paysagiste indépendante depuis 2019, la trentenaire a quitté “sa tour d’ivoire à la bibliothèque” pour mettre les mains dans  la terre. Cette ancienne juriste en droit international, formée à l’université de Montréal, entretient et aménage désormais des jardins, et organise des chantiers participatifs. Sans aucun regret pour son ancienne vie.

Gantée, son sécateur à la main, Angéline Couvreur coupe quelques branches du jardin d’une copropriété de Pantin. “ L’entretien est assez méditatif et confère un grand pouvoir : on peut vraiment affecter l’état du jardin “ s’exclame-t-elle. Formée à l’école du Breuil , une école rattachée à la Ville de Paris située dans le Bois de Vincennes, elle s’est confrontée à la réalité du métier : “ On parlait de produits phyto, d’arrosage automatique, on apprenait à faire un devis… et je me suis rendu compte qu’il y avait un énorme aspect logistique”, raconte-t-elle. À son compte depuis six ans, elle confie, avec un sourire amusé : “ Au début, j’ai fait plein d’erreurs. Je gagnais à peine de quoi vivre, parfois je payais presque pour faire des jardins. ” Après quelques années à ne pas compter les heures, son travail a fini par payer. En ce moment à mi-temps, elle danse le forrò pendant son temps libre. 

Inspirée par Hugues Peuvergne, Gilles Clément et ses balades dans la ville, Angeline Couvreur est adepte du “sauvage entretenu.” Elle aime que le geste de la jardinière ne se voit pas “C’est un changement presque culturel, au début les gens sont bousculés, ils sont habitués à ce que les jardins soient “propres” « , explique t-elle. En laissant les résidus de taille et de tonte, l’évaporation de l’eau est limitée et la repousse des adventices empêchée . De plus, ce paillage favorise la vie du sol, qui s’en nourrit, puis améliore la fertilité du sol en redonnant des nutriments aux plantes. Dès que le sol le permet, Angéline met des comestibles : “ Indirectement, ça crée du lien entre les gens.” La Montreuilloise s’approvisionne auprès de différentes pépinières, comme Passion Vivaces ou La Sauge, en essayant d’utiliser le plus possible  de végétaux naturellement présents en Ile de France “ J’essaye de faire un maximum pour les petites bêtes” sourit-elle. 

“ Mais c’est dingue ! C’est à la fois de l’art, de l’artisanat, c’est écologique, c’est social !” : voilà ce que cette jeune femme brune au regard doux s’est dit la première fois qu’elle a découvert le métier de jardinière. Cette reconversion – où cette “ crise de sens”  comme elle l’appelle -, a été déclenchée par la maladie de son père. Fille de viticulteurs, la Champenoise a voulu, au départ, garder ses distances avec ce milieu en faisant des études. “ J’allais parfois aux vignes avec mes parents mais ça ne me parlait pas trop”, se souvient-elle. Sa mère, attachée à “ l’idée que sa fille faisait un doctorat, qu’elle allait devenir enseignante”, a encaissé la nouvelle . “Elle n’a que récemment pris conscience que j’aimais vraiment ce que je faisais et que j’étais vraiment heureuse dans ce métier-là”, confie la jardinière. La rencontre d’un professeur à l’université de Montréal n’a fait que renforcer sa prise de conscience. Ce dernier avait consacré quarante ans de sa vie à un projet pour qu’au final, très peu de choses, voire rien, ne change. “ Le droit international, c’est passionnant, mais très dépendant de la volonté des Etats et des acteurs économiques, et les organisations internationales se retrouvent très éloignées de la base des électeurs, or l’environnement est un enjeu politique”, déplore-t-elle en ramassant une branche. 

“ Je n’ai pas froid, je suis toujours en mouvement”, rigole-t-elle, le bout du nez légèrement rougie par une température ambiante assez fraîche. Angéline n’est pas seulement jardinière, elle transmet aussi sa passion. À ses amis, comme Pierre, ancien professeur des écoles devenu jardinier en Bretagne (“ Il se plaint de la pluie”, blague-t-elle). Mais aussi dans des jardins participatifs, par exemple avec La Sauge, une association qui estime que tout le monde devrait mettre les mains dans la terre et jardiner deux heures par semaine- où elle a travaillé avec des tigistes. “ C’était super, il y a même un jeune qui m’a dit qu’il envisageait de devenir jardinier ”, se réjouit-elle. La paysagiste a également travaillé pendant trois ans ans avec la Rue Verte, au centre d’animation Maurice Ravel dans le 12ème arrondissement parisien: “ Tous les mercredis, j’avais des groupes d’enfants, on jardinait ensemble, on utilisait le jardin comme un support pour en apprendre plus sur l’environnement.”

Dans la cour du jardin dont elle s’occupe à Pantin, en bas des immeubles construits par les architectes Christelle Avenier et Miguel Cornejo, un habitant passe : “ Angéline, je peux te confier mes clefs, ma fille a oublié les siennes, elle viendra les récupérer.” Devenue amie avec certain.es résident.es qui lui donnent parfois un coup de main, elle dit avoir trouvé “ un vrai sens à son travail.” Un aspect qu’elle n’arrivait pas à retrouver dans son ancienne vie. 
Angéline Couvreur est une sorte de punk des jardins. Son style “ sauvage”, qui va à l’encontre des conventions, implique avant tout de prendre le temps, d’observer, de ne plus tondre partout et de préférer faucher, d’épouser la frugalité dans les gestes. 

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