Depuis près de quinze ans, un irréductible village du Vexin français, dans le Val-d’Oise, tente de résister aux promoteurs immobiliers, en portant l’idée de construire un éco-hameau. Contraintes techniques, déchirements personnels et bâtons dans les roues : après un chemin de croix écologique, les futurs habitants lancent enfin les travaux. Récit d’un projet qui a peut-être eu raison trop tôt.
2007. Alors que les pouvoirs publics commencent seulement à parler d’écologie, la maire de Saint-Cyr-en-Arthies initie l’idée de construire un éco-hameau sur l’un des seuls terrains constructibles de la petite commune de 237 habitants. “Les gens s’inquiétaient qu’on ramène des hippies”, se souvient en souriant Martine Pantic, toujours en poste.
À l’époque, l’objectif est plutôt d’empêcher que les terrains soient achetés par un promoteur et divisés en lotissements individuels. Situé dans le Parc naturel régional du Vexin français, à une heure de Paris, le village est une cible idéale pour l’extension urbaine qui s’étend inlassablement. Dès le début, les gestionnaires de l’espace naturel s’associent donc avec la mairie pour préserver au mieux cet espace rural. “On ne voulait pas entendre parler d’éco-quartier, c’est souvent une trop grosse machine où les gens viennent seulement habiter pour un produit immobilier”, explique Patrick Gautier, responsable du pôle aménagement pour le Parc naturel du Vexin.
Confrontée comme beaucoup d’espaces ruraux à la perte d’habitants, la ville décide alors d’organiser des ateliers participatifs et des appels à projet pour dessiner un “éco-hameau”. “Le but était de trouver des gens qui s’impliquent dans la conception, dans la vie de la commune, on a donc essayé de changer l’habitat avec une sorte d’éco-lotissement et des espaces communs”, continue Patrick Gautier.
En 2011, des ateliers participatifs se mettent en place. Panneaux solaires, récupération d’eau, toilettes sèches, “les propositions étaient très radicales, les gens voulaient que ce soit innovant”, raconte Angélique Chedemois, l’architecte missionnée pour mettre en forme toutes ces idées.“Pour faire de l’écologie dans le bâtiment, c’est 30 à 50% d’investissement en plus, là, on draine plutôt des budgets modestes”, nuance-t-elle tout de même. Qu’à cela ne tienne, l’accent sera mis sur la notion de partage, sur l’orientation des bâtiments et la compacité. “On n’y pense jamais, mais avoir des maisons mitoyennes et des parois plus épaisses, c’est un gain énorme en termes d’énergie et de mètres carrés.”
Le projet se rêve en modèle
Matériaux biosourcés, eaux usées filtrées par des plantes et tuiles de bois issues des déchets de l’industrie des tonneaux : le projet d’éco-hameau parvient à se rêver en modèle de l’habitat alternatif et écologique. Il est même rejoint par la société d’aménagement du Conseil départemental (Semavo) et par le bailleur social Val-d’Oise habitat, qui prévoit alors d’y construire des logements sociaux et de simplifier l’accession à la propriété.
D’abord réticents, les architectes des bâtiments de France finissent, eux aussi, par valider le projet, qui vise à transformer les traditionnelles fermes du Vexin en habitat collectif. Les anciennes granges doivent laisser place à des ateliers de réparation, une buanderie et une grande salle commune.
Un collectif de futurs habitants se forme et fourmille d’idées pour faire vivre cet espace en habitat partagé. L’un propose des ateliers yoga, l’autre de faire les trajets pour emmener les enfants à l’école, le groupe commence à se réunir pour des ateliers jardinage et s’imagine déjà dans ces nouveaux logements. “C’est sûr qu’à 26 foyers, on aura du mal à se nourrir avec un petit potager, mais le fait de se retrouver ensemble en milieu rural va permettre de cultiver notre résilience”, songe Valentin Rivière, futur habitant en reconversion professionnelle pour s’adapter à ce nouveau cadre de vie plus écologique.
La chute
Mais au moment de lancer la concrétisation du projet, tout s’écroule. Un agriculteur attaque le Plan local d’urbanisme (PLU) pour des histoires de terrains constructibles et de retombées économiques. Le projet est alors retardé par la justice pendant plusieurs années.
Un premier délai qui décourage de nombreux habitants engagés. Et après un long silence, le bailleur social décide lui aussi de quitter l’aventure, invoquant un changement de présidence et une réduction du budget à la suite d’une modification des aides personnalisées au logement (APL). La Semavo est entraînée dans sa chute. Les porteurs de projet tentent de les remplacer. En vain.
“Le groupe de futurs habitants a pris la décision très courageuse de reprendre le flambeau seuls, avec leurs petits bras”, raconte Patrick Gautier. En 2020, le confinement arrive et met à mal l’organisation des particuliers, transformant les rencontres nature en assemblées Zoom à distance. La hausse des coûts des matériaux et un conflit entre architectes portent un dernier coup presque fatal au projet.
“Le noyau dur d’habitants s’est vraiment posé la question à ce moment-là”, confesse une future habitante. “Nous avons décidé de quitter ce projet devenu trop anxiogène”, témoigne un autre. Malgré ces vents contraires, le groupe d’habitants ne baisse pas les bras. Il tente de se former sur les enjeux d’urbanisme, s’organise en comités et cherche de nouveaux partenaires. “On pense que c’est youpla boum et hop ça pousse, mais pas du tout, c’est presque un travail à temps plein de monter un tel projet”, constate Muriel Rey, habitante engagée dans le projet depuis 2015. “C’est vraiment un miracle que le groupe existe toujours”, considère même l’architecte, Angélique Chedemois.
La décision collective, un des défis majeurs de l’éco-village
En plus des défis et retards extérieurs, le collectif doit expérimenter la prise de décisions collectives. Une rigueur difficile à respecter. “Chaque décision doit être adoptée à la majorité”, explique Muriel Rey, en prenant l’exemple des poêles à bois. “Les citadins qui se contentent d’appuyer sur un bouton voulaient plutôt le charme des bûches, alors que les plus âgées préféraient les granulés pour éviter de les porter”. De longues discussions et un vote permettront finalement de trancher pour le pellet.
“C’était vraiment le bazar au début, mais on s’est progressivement professionnalisé dans l’organisation des réunions”, explique Valentin Rivière. “Il y a maintenant un scribe, un maître du temps et des codes pour chaque rencontre, c’est une véritable expérience micro politique.”
Une illustration des importantes résistances au changement
2021. Alors que l’éco-hameau aurait dû fêter son inauguration, le terrain est toujours désespérément vide. Aucun permis de construire, aucune entreprise de BTP contactée, rien.
“C’est pour bientôt, j’en suis sûre”, assure pourtant madame la maire, infatigable. “Je me rends compte que je ne serai plus capable de reprendre un gros projet comme ça. Mais le plus dur, c’était de se lancer. Une fois qu’on est dedans, c’est comme un moteur, ça roule tout seul.”
Et le moteur semble enfin avoir mis le turbo. En avril 2024, les travaux devraient enfin commencer. Alors qu’il reste encore des logements libres, le collectif espère emménager d’ici à deux ans. Un soulagement pour la dizaine d’habitants toujours engagée.
Pour autant, l’amertume reste. “C’est incroyable que ce soit si difficile de monter ce type de logement”, fulmine Muriel Rey. Si en quinze ans, la prise de conscience et les normes environnementales ont évolué, les aléas éprouvés par le groupe prouvent que l’inertie est encore forte.“Je pense qu’à l’époque, c’était un peu novateur pour l’Île-de-France, on ne comprenait pas encore la nécessité de changer d’état d’esprit”, constate Angélique Chedemois. Pour les futurs habitants qui disent sortir grandis de cette expérience, l’enjeu écologique n’est presque plus la priorité. “Avec toutes les péripéties vécues, nous sommes quelques-uns à s’être dit : tant pis pour la construction écologique trop chère, ce qui prime le plus c’est le collectif, c’est l’humain. Donc, on ira jusqu’au bout”, raconte Valentin Rivière. S’imaginant à l’origine comme un modèle d’habitation écologique, le Champ Foulon est au final davantage un modèle de résilience collective sur le temps long.