Dans le cadre du cyclotour des tiers-lieux d’Ile-de-France, transonore a pu découvrir le Shakirail. Un des derniers ateliers d’artistes abordables dans le centre de Paris et qui tente de faire vivre le quartier.
« Vous avez devant vous les deux seules salariées et la seule salle aux normes du Shakirail.« Dans une grande pièce blanche éclairée de néons et lasers, héritiers des soirées de l’été, Emma et Mathilde donnent le ton de ce quatrième cyclotour des tiers lieux d’Île-de-France. Face à elles, une trentaine de porteurs de projets, curieux et cyclistes participants débordent de questions. Un squat légal ? Un tiers-lieux ? Des ateliers d’artistes ? Un peu tout à la fois, répond Mathilde, la responsable du site, qui revendique surtout « un lieu indépendant et ouvert à toutes et tous ».
À l’origine, ce grand bâtiment « pas franchement remarquable », qui borde les lignes de trains de la gare de l’Est, servait de local pour les cheminots. Abandonné et en friche, la SNCF craignait les risques d’intrusion, accentués par les problèmes de toxicomanie dans le quartier. Au début des années 2000, un cheminot-artiste y voit un énorme potentiel pour y installer des ateliers et propose alors à la compagnie ferroviaire de le céder à un collectif d’artistes. Treize ans plus tard, elle renouvelle toujours la convention d’occupation pour permettre à près de 80 artistes de bénéficier d’espaces de travail abordables en plein Paris.
Une opportunité unique pour les jeunes artistes à Paris
« Ici, vous pouvez louer un studio de musique pour 5€ de l’heure ou un studio de danse pour à peine 2,50€. À Paris, c’est très rare ! », appuie Mathilde.« Et en plus ce n’est pas du tout un loyer », ajoute Zeko, un artiste street art en résidence temporaire. Après un appel à projet, il a occupé pendant trois mois un espace de l’atelier et se réjouit d’avoir ainsi pu vivre sa première résidence. « Dans Paris, il n’y a pas beaucoup d’opportunités et pour avoir un atelier, tu payes vite 300€ le mois, alors qu’ici, il s’agit seulement d’une adhésion à l’association de 50€. » Seule contrepartie : une gouvernance commune qui entraîne parfois des réunions à rallonge.
Avec ces différents ateliers presque autogérés et ses couloirs remplis d’œuvres d’art en pagaille, le Shakirail revendique un certain esprit « squat ». « Mais contrairement aux bâtiments illégaux d’artistes où tu as toujours le risque de te faire voler ou de perdre ton matériel, il y a ici un vrai cadre bénéfique », compare Zeko. En voie de professionnalisation, le graffeur a pu s’exercer au tag, aussi bien sur toile que sur les murs de l’espace commun qui lui avait été alloué. Au moment de partir, il a tout repeint en blanc pour « laisser le coin aussi propre qu’à l’arrivée ».
Une succession d’ateliers aux allures d’expositions d’art
Pièces de céramiques empilées, vêtements en tout genre accrochés au mur, machines de toutes sortes… Tout autour, l’identité de chaque artiste s’exprime comme une exposition décousue et débordante. Il y a aussi bien des ateliers pour le travail du bois que de la bijouterie-joaillerie, des espaces de création théâtrale ou musicale que des jardins partagés. Un lieu modèle pour le collectif Curry-vavart qui a, en tout, aménagé et géré une quinzaine de lieux temporaires. « On bénéficie du quartier et on contribue aussi à valoriser son image », constate Mathilde, qui observe d’un mauvais œil le foisonnement tous azimuts de l’architecture temporaire, responsable parfois d’une certaine gentrification.
Pour rester un lieu ouvert sur le quartier, le Shakirail organise alors de nombreuses activités “hors les murs” avec des groupes scolaires ou d’habitants. Un comité de quartier vient par exemple de se constituer pour réfléchir collectivement aux usages possibles des bâtiments pour la collectivité. Ils auront en tout cas ce jour-là servi d’inspiration à la joyeuse troupe du cyclotour. À tel point qu’à la fin de la visite, le groupe, déjà en retard, peine à quitter les lieux, bloqué par une première pédale de vélo cassée.