En plein cœur de Paris, dans le 2e arrondissement, l’Atelier des artistes en exil (aa-e) accueille des artistes issu.es des quatre coins du monde qui ont fui leur pays. L’association leur fournit du matériel et apporte une aide à la fois administrative et juridique .
Un yack au poil hirsute et à l’œil de verre émerge du camion. Un abat-jour d’un vert terne et un buste de femme en plâtre disparaîssent à leur tour derrière le portail massif du 6 rue Aboukir. Les passants ne cillent pas devant ce défilé étrange.
Mais quel monde extraordinaire se dissimule derrière cette porte ? Un atelier-monde. Un joyeux mélange de couleurs mais aussi de langues et de dialectes : de l’arabe, du swahili, du russe, du kituba entre tant d’autres. A la porte de chaque pièce, l’alphabet cyrillique cohabite avec des lettres perses, arabes et latines sur des panneaux orange .
Laura Dubois, coordinatrice générale de l’association, est chargée de veiller au bon déroulement des projets, de la gestion de l’équipe, de la mise en place de partenariats…
Avant d’arriver à l’aa-e en 2017, elle a parcouru le monde entier en tant qu’assistante logistique dans le domaine artistique au Togo, avant d’être guide touristique dans la jungle colombienne, aide-soignante en Nouvelle Zélande et de travailler dans un surf camp au Portugal . “Le but de l’atelier des artistes en exil, c’est de proposer un espace d’accueil qui permet aux artistes de continuer à créer, une fois qu’ils ont quitté leur pays, qu’ils sont sans réseau, sans matériel.”, explique-t-elle, souriante et décontractée, en faisant le tour de l’atelier. Son visage est illuminé par des néons colorés alors qu’elle traverse le couloir étroit. “L’exil, ça peut être pour des raisons très différentes. principalement un exil politique, c’est -à -dire que ce sont des personnes qui sont obligées de quitter leur pays parce qu’elles ont des idées parfois jugées trop progressistes, parfois contre leur gouvernement. Mais parfois, c’est aussi en raison d’une religion différente, ou ce sont des personnes appartenant à un peuple qui n’est pas assez bien considéré ou bien pour des questions d’orientation sexuelle.”, précise-t-elle .
L’aa-e, fondé en 2016 par Judith Depaule et Ariel Cypel, met des espaces de travail et l’équipement adéquat à la disposition des artistes. Des ateliers pour les peintres, les sculpteurs et les couturiers, des salles de répétition pour les danseurs, les musiciens et les acteurs, des studios avec les bons logiciels pour les cinéastes, les photographes et les graphistes. En tout, ils sont environ 800 artistes mais Laura Dubois dit en souriant que certains viennent occasionnellement, sinon ce serait impossible de tous les accueillir. Ils sont généralement 4 ou 5 à partager un atelier. Des couronnes de fleurs, des créations festives et des bracelets étincelants ornent les murs d’une pièce dédiée aux personnes s’identifiant comme femmes, qui sont plus à l’aise à travailler entre elles.
L’action de l’association ne s’arrête pas là : elle accompagne les artistes dans les démarches administratives et juridiques, ainsi que dans l’apprentissage du français: les cours y sont gratuits et accessibles à tout le monde. Après la prise de Kaboul par les talibans en 2021, l’Atelier des Artistes en Exil a ouvert des hotlines pour aider les artistes d’Afghanistan à venir en France. L’atelier a par la suite mis en place des antennes pour la Birmanie, l’Ukraine et bien d’autres pays en crise.
L’artiste russe Dmitry Stepanov est arrivé en France en 2022. Casquette en tweed sur la tête, façon gavroche, Il se présente comme un vidéaste et un musicien. Dans sa jeunesse, il était fasciné par la littérature française avant de découvrir son amour pour la Catalogne, mais il écoute encore beaucoup de musique française comme Charles Aznavour, Georges Brassens, Jean Ferrat ou encore Edith Piaf …
Dmitry Stepanov joue du piano, de l’harmonica, de la guitare, de la flûte et fait de la musique électronique. “ J’ai choisi de me diriger vers la musique parce que l’art visuel se rapproche d’une forme de violence : on impose une image au spectateur alors que la musique laisse un espace de liberté pour l’imagination. ” La liberté, c’est aussi ce qui l’a poussé à quitter son pays d’origine. Dmitrii Stepanov insiste : “En France, on est beaucoup, beaucoup plus libre qu’en Russie. J’ai réalisé qu’il fallait que je quitte la Russie lorsque la guerre a éclaté en Ukraine. J’étais contre la guerre et le régime de Poutine et ça devenait trop dangereux pour moi de rester dans mon pays.” Il trouve que c’est dur de se projeter dans l’avenir, il ne sait pas s’il va rester en France, mais une chose est sûre : Dmitrii Stepanov compte garder contact avec l’Atelier des artistes en exil.
Daouda Nganga, danseur originaire de Congo Brazzaville, a lui aussi quitté son pays pour des motifs politiques, en 2016 . Il raconte d’une voix posée comment l’atelier lui est venu en aide : “ L’Atelier des artistes en exil, pour moi, c’est la France. On dit souvent que Paris, c’est comme un cimetière pour les artistes qui n’ont personne pour les coacher. Pour ceux qui n’ont pas de réseau, c’est mort. J’ai eu la chance de pouvoir jouer dans les grandes salles grâce à l’Atelier.” Grâce à de nombreux partenariats, notamment avec la Bourse du Commerce et le Palais de Tokyo, les artistes qui arrivent dans ce nouveau pays sans ressources ni connaissances sont soutenu.es à travers l’organisation de spectacles et d’expositions.
Bien que Daouda Nganga parle déjà de multiples langues, en plus du français – kituba, lari, lingala, wolof -, il avoue en riant qu’il parle beaucoup avec les mains au sein de l’Atelier . Il ajoute en souriant : “ Ici, c’est le monde entier. (…) Je m’entends bien avec tout le monde. Un sourire, c’est déjà une forme de communication.” De solitaire, l’exil devient solidaire.