Issou-Aly, Issouf pour les intimes, est un habitant du 19ème arrondissement. L’ancien couturier malgache dévoile son potager qu’il a installé sur son balcon.
Le couvercle du gros bocal en verre cède facilement sous la pression de ses mains fermes. Tout en riant de bon cœur, Issouf y pêche un morceau de gingembre fermenté au vinaigre à l’aide d’une fourchette. Il a enfilé un tablier blanc, par précaution, par-dessus sa chemise noire à motifs. Issouf semble rayonner de joie alors qu’il fait goûter ses sauces, qu’il conserve dans des bocaux : une sauce bolognaise faite maison, une vinaigrette et une autre sauce très pimentée qui pique le nez. “ Moi, le piment, j’aime ça. Je trouve que ça donne envie de manger encore un peu plus, c’est un ingrédient spécial.”, explique-t-il en souriant. Et la majorité de ces ingrédients proviennent…de son balcon.
Issouf a la main verte, c’est le moins que l’on puisse dire, “J’aime bien prendre la terre à mains nues, c’est satisfaisant.”, dit-il, le sourire aux lèvres. Le jardin secret d’Issouf, un petit coin de paradis insoupçonné, suspendu dans le 19ème arrondissement. Le balcon du huitième étage, matelassé de pelouse synthétique, est baigné d’une lumière matinale. Issouf a emménagé dans cet appartement alors qu’il traversait une période difficile de sa vie : il divorce de sa femme en 2014, avant d’apprendre qu’il est atteint d’une maladie qui le laisse handicapé ; en 2016, on lui diagnostique également un Alzheimer. Pourtant, aujourd’hui, il s’exclame, les yeux rieurs et pétillants de vie : “Mon jardin, pour moi, c’est une forme de thérapie ! Quand je suis arrivé ici et que j’ai aperçu le balcon, je me suis dit : je vais transformer cet espace en un petit parc, mais au lieu de planter des fleurs, comme tout le monde, j’ai préféré en faire un potager. Les plantes se sont mises à pousser et à pousser de plus en plus tous les jours. Quand je vois le soleil se lever tous les matins et qu’il éclaire mes plantes, ça me fait chaud au cœur. Ça fait presque deux ans maintenant.”
Des pots clairsemés de petites fraises d’un rouge vif s’alignent sur la rambarde. Issouf pointe du doigt le balcon des voisins où la murette est tristement vide et s’écrie qu’il sait exactement ce qu’il aurait pu y planter. Entre l’avocatier et les tomates cerises, il fait pousser du brède mafane et du chouchou, des plantes qui viennent de chez lui, de Madagascar. “ J’ai toujours aimé la nature. Je suis né dans la brousse. Là où la forêt recouvre des millions d’hectares et où il n’y a pas de supermarché : le seul supermarché, c’est la forêt.” dit-il, d’une voix chaude. À Madagascar, on leur apprenait à entretenir et à cultiver un jardin dans le potager de l’école, tous les jours une demi-heure avant le début des cours. “Et quand on se comportait mal, on défrichait le jardin en punition.” Issouf raconte qu’il fallait se débrouiller sans engrais et sans produits chimiques lorsqu’il aidait ses parents dans le jardin familial. “Ils concoctaient un compost écologique à base d’ingrédients naturels : des déchets, de la paille, du crottin des bœufs. On gaspillait très peu.”
De généreuses feuilles de potiron saillissent des pots posés sur le sol du balcon parisien.
“A Madagascar, on mange les feuilles de potiron au lieu de les jeter, on peut les mélanger avec du coco, du bœuf ou du poisson”. D’après Issouf, on utilise très peu d’huile et de sucre dans la cuisine malgache. Il ajoute, espiègle : “ Mais je ne sais pas pourquoi, j’ai un gros ventre.” Son rire est contagieux.
Tout l’espace de son balcon de 6m² est optimisé et arrangé avec réflexion. Des touffes de salades dépassent des bouteilles en plastique coupées, recyclées en pots et fixées au mur. Issouf nous révèle son secret : dans un coin sombre de l’appartement, il stocke des semis d’aubergines, de piments et de choux chinois qui poussent dans des briques de jus de fruit. Ses mains larges saisissent délicatement une brique contenant des pousses de concombre: “Je fais ça pour les garder au chaud. Et comme je bois du jus de fruit tous les matins, je recycle les bouteilles dont l’intérieur est en aluminium, donc ça ne pourrit pas. T’as vu tout ce que je recycle ? Au lieu de jeter tout le temps, on a besoin de plus de recyclage .”
Issouf est très astucieux et observateur. Le jour où il a aperçu des chenilles vertes qui s’attaquaient à ses salades, au lieu de se précipiter au supermarché du coin pour acheter de l’insecticide, il s’est renseigné sur Internet et s’est procuré du bicarbonate de soude. Comme dans un laboratoire, il a placé une chenille sur sa table pour tester son mélange : la chenille verte s’est dissoute sous ses yeux ébahis. Il a aussi trouvé une façon de recycler les mégots : il sort le filtre qu’il lave soigneusement avec un peu d’eau de javel et qu’il peut ensuite utiliser pour épurer de l’eau ou bien de l’huile.
Pour Issouf, il est crucial de sensibiliser les jeunes à l’écologie et de leur partager des astuces quotidiennes pour recycler intelligemment.
Le mur de son entrée est couvert d’outils de bricolage divers et variés. Le neveu d’Issouf, qui habite chez lui depuis peu de temps, dit en riant “ Il a fait tout ce qui est ici !” Issouf a l’habitude de sortir dans la rue, équipé de son caddie, pour récupérer les objets abandonnés sur le trottoir. Ensuite, il les rapporte chez lui et les nettoie pour leur donner une deuxième vie. Issouf indique son balcon : “ Vous voyez ce que j’ai fait là ? Je n’aime pas quand mes pots sont posés à même le sol . J’ai ramassé les morceaux d’une armoire dans la rue, j’ai enlevé les saletés et j’ai fabriqué un support pour mes plantes.” Chez lui, presque toutes les étagères sont confectionnées à partir de pièces récupérées, polies et rafistolées. “Ma devise est très simple : quand il n’y a rien dans la poche, ni dans la banque, tout est là. Êtes-vous d’accord avec moi ? ”, dit-il en montrant ses mains d’un air malicieux. “ Quand on sait comment prendre les choses en main et faire fonctionner sa tête, on peut survivre partout dans le monde, sans beaucoup d’argent .”