À rebours des traditionnelles soirées alcoolisées et défis sportifs de l’intégration, une dizaine de collectifs étudiants organisent des rentrées alternatives dans toute la France. L’occasion de s’interroger sur le véritable rôle de l’université.

Bien loin de l’agitation autour d’un grand événement de rentrée, consacré aux jeux vidéo, sur le campus de Jussieu, à Paris, une poignée d’étudiants a décidé de démarrer  l’année autrement. Dans une petite salle de la tour 13, elles et ils sont une dizaine ce 27 septembre à débattre toute la journée autour d’une question simple et vertigineuse : « Que cherche-t-on ? »

À l’initiative du collectif « reprise de savoirs », qui milite pour la diffusion de connaissances non académiques, une petite dizaine d’universités organisent cette année une « autre rentrée ». À Dijon, Nantes, Toulouse, Grenoble, Saclay et donc Paris, les étudiants ont pu participer à des activités alternatives à la traditionnelle semaine d’intégration. À la place des soirées, activités sportives et de présentation, les collectifs proposent des débats, projections, balades naturalistes ou ateliers de réparation de vélos. « L’objectif est de redonner du sens. Quand les jeunes arrivent, on leur a simplement dit qu’il fallait faire des grandes études, avec souvent un seul modèle en tête », avance Fab, un des organisateurs de l’Autre rentrée de Grenoble. 

En réussissant à greffer “l’université autogérée” qu’il porte au forum des associations de la fac, il se réjouit d’avoir sensibilisé certains jeunes de première année. « Nous, on considère qu’il n’y a pas que les savoirs rhétoriques, le corps marche avec le cerveau, donc on propose des activités manuelles pour développer un savoir critique. » En s’inspirant des expériences de squats, des Zads (Zone à défendre) ou d’initiatives agricoles, l’ambition est de croiser les milieux universitaires et autonomes. 

Dans l’héritage des étudiants “bifurqueurs”

“C’est au moment où des étudiants d’AgroParisTech ont fait le buzz en annonçant déserter les voies professionnelles classiques qu’on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose sur les campus”, raconte Antonin, du collectif “Reprise de savoirs”. Très vite, la rentrée a été identifiée comme le moment incontournable, “le moment où l’on reconduit les choses alors qu’il faudrait bifurquer”. En septembre 2023, 4 campus ont ainsi tenté l’aventure. 

L’université Paris-Saclay en faisait partie. “Ici, on a construit une université à partir de zéro, les gens se posent donc beaucoup de questions, mais les écoles sont très tournées vers l’entre-soi”, indiquent Tim et Lisa, engagé.es dans l’organisation de l’autre rentrée sur le plateau. “L’intégration est assez bornée intellectuellement : on va juste boire des coups et faire du sport. Le plus important pour nous, c’est donc de rencontrer d’autres personnes qui ne se reconnaissent pas dans le système classique.” Les ateliers abordant la désertion sont par exemple les plus prisés. Mais avec 20 participants en moyenne pour chaque activité, l’évènement peine à mobiliser en dehors des cercles déjà sensibilisés et ne parvient pas encore à contrebalancer l’intégration classique. 

Des évènements en dehors du cadre institutionnel

“C’est un peu bloqué avec l’administration”, admettent les deux étudiants. “Dès qu’on politise la question, ils interdisent l’évènement.” Alors que l’université Sorbonne indique n’avoir “aucun élément à apporter sur les initiatives de ce type”, celle de Dijon répond accueillir avec bienveillance toutes “initiatives culturelles, sportives, associatives… favorisant l’épanouissement de la communauté universitaire”. En général, les autres rentrées sont donc organisées en dehors du cadre institutionnel, notamment pour permettre de créer du lien entre les universités et le monde extérieur. 

À Jussieu ce jour-là, le déjeuner a par exemple eu lieu dans le local syndical de la CGT et les intervenants ont abordé des sujets aussi divers que la Zad de Notre-Dame-des-Landes ou la précarisation de la main-d’œuvre engagée pour corriger l’intelligence artificielle. Les chercheurs doivent-ils s’engager ? Comment mener sa recherche dans un monde fini ? La science est-elle utile ou nocive ? Autant de questions soulevées lors de ces interventions, qui se poursuivront nécessairement au-delà de la rentrée. 

Images : affiches des différents collectifs et évènements organisant une « Autre rentrée »

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