Derrière les chiffres, voler en supermarché reste un acte isolé aux multiples réalités. De la précarité à la volonté de “se faire des petits plaisirs”, des étudiantes nous racontent.

Des tablettes de chocolat sous antivol dans un Monoprix de Marseille. L’image a choqué et a poussé l’enseigne à expliquer qu’il ne s’agissait que d’un test non concluant. Un symbole fort de ce que certaines enseignes considèrent comme une recrudescence des vols à l’étalage. 

Selon des chiffres publiés par le ministère de l’Intérieur, en 2022, les vols en supermarché auraient augmenté de 14 %. Une évolution mise en relief avec l’inflation, elle aussi estimée à 14% cette année-là. Or, cette estimation se réfère aux années 2022 et 2021, marquées par les couvre-feux et confinements, donc moins sujets aux déclarations de vols en supermarchés. Quand on les compare avec l’année 2019 – année pourtant sans inflation -,  on observe plutôt une baisse de 17 %. 

”Historiquement, le nombre de vols a tendance à diminuer, relève Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, interviewé dans La Croix. Les pauvres ne sont pas des voleurs, et on ne se met pas à voler parce que les prix augmentent, on va dans des banques alimentaires. Sinon, dans les phases d’inflation qu’on a connu dans les années 1970, avec 10 % d’inflation par an, les Français seraient tous devenus des voleurs”. Le vol à l’étalage n’est donc pas généralisé, et reste le propre de certaines catégories bien précises de la population. 

Plus facile de voler en tant que “jeune femme blanche”

Davantage touché.es par la précarité, les étudiant.es seraient particulièrement concerné.es par le vol en supermarché. “Parmi les étudiants que je connais, il y a deux groupes : ceux qui volent et ceux qui refusent”, confirme Louise, étudiante en communication, pour qui tous ses camarades se sont déjà posés la question. En tant que “jeune femme blanche”, elle se sait privilégiée pour voler. “À partir du moment où, à l’adolescence, je me suis rendu compte que ça passait, je volais à chaque fois des bonbons. Une fois que je me suis installée seule pour les études, je me suis mise à voler des petits plaisirs que je ne pouvais pas m’offrir, comme des bonnes sauces ou du fromage.”

Une “cliente en apparence bien intentionnée qui se livre régulièrement à du vol à l’étalage” (“SWIPERS” en anglais et en abrégé), selon la typologie d’Emmeline Taylor, sociologue et criminologue de l’Université de la City de Londres. Après avoir été alertée par un supermarché dans lequel les ventes de carottes dépassaient largement les stocks, la chercheuse britannique a décidé d’enquêter.

Elle s’est rendu compte que certains clients achetaient près de 18kg de carottes en une seule fois. Il ne s’agissait pas d’une ruée vers l’alimentation saine, mais d’une nouvelle forme de fraude rendue possible, selon elle, par la généralisation des caisses automatiques. Les clients feraient passer des produits onéreux pour des carottes sur la balance, sans peur d’être jugés car ayant seulement affaire à une machine. “Tous les crimes ne sont pas rationnels ou motivés par l’argent”, rappelle ainsi Emmeline Taylor dans un article publié dans The Conversation. “C’est un plaisir, j’ai un pic d’adrénaline avant de passer à la caisse et une sensation de libération juste après”, confirme Louise. 

La précarité alimentaire gagne du terrain

Le vol en supermarché concerne aussi de nombreuses personnes dans le besoin, même s’il est impossible de savoir exactement combien. “C’est quand même rarement une position confortable de voler”, rappelle Alicia, étudiante boursière en histoire. “Si on est plusieurs à le faire, c’est qu’il y a un problème !” Pour elle, cela a réellement commencé après le confinement lorsque son loyer a augmenté bien plus vite que les revenus. Elle vole aujourd’hui au moins une fois par semaine, uniquement des produits de première nécessité. Mais pour toutes les personnes interrogées, cela concerne uniquement les grosses enseignes, “parce qu’elles font trop de profits sans les redistribuer aux salariés”

Plus que les trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende que les voleurs risquent virtuellement, c’est plutôt la honte de se faire attraper devant tout le monde qui inquiète le plus. “Mais j’aurais encore plus honte d’aller à une distribution alimentaire, en ayant l’impression de prendre les paniers destinés aux plus pauvres”, explique Alicia. Comme elle, près de 36 % des étudiants sautent régulièrement des repas par manque d’argent, mais très peu sautent le pas pour bénéficier d’une aide alimentaire.

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