À Pantin, en Seine-Saint-Denis, un lieu alternatif embaume la rue depuis maintenant plus de deux ans. La Butinerie, maison du bien vivre alimentaire, propose des ateliers de cuisine gratuits ainsi que des déjeuners et brunchs à prix libres.

À 10h, les participants de l’atelier cuisine de ce mercredi de janvier nuageux  sont déjà en place, mains lavées, tablier noué, Cheryl et Frédéric sont prêt.es à éplucher, découper et surtout à passer un bon moment et à manger ensemble. Au menu ce midi: salade waldorf, velouté de poireaux, houmous de patate douce, oignons confits et focaccia vegan.  Ces 2 habitué.es de l’atelier cuisine de la Butinerie sont accompagnés par Bertrand, le nouveau chef. “ Je cherchais un endroit qui bouscule un petit peu les codes”, raconte le cuisinier, appuyé au grand plan de travail en inox. Après avoir passé sept ans derrière les  fourneaux de différents restaurants, il se dit soulagé de ne plus travailler en coupure dans ce milieu “épuisant.”

 Ici, l’atmosphère est détendue, la bande-son  très années 80 en témoigne. “ La prochaine fois, j’emmène mon lit et je m’installe ici”, plaisante Cheryl en éminçant  des oignons. L’Américaine de 58 ans, tombée amoureuse de la France, aime venir ici pour échanger et se remémorer ses souvenirs d’enfance avec sa mère en cuisine. Frédéric, ancien cuisinier, lui aussi plonge dans ses souvenirs culinaires “ Je cuisinais avec cette femme portugaise, c’était un vrai tyran !”, rigole-t-il. Si aujourd’hui ils ne sont que 2, les ateliers peuvent accueillir jusqu’à 9 apprenti.es cuistots.

 “ Quelqu’un peut se charger d’enlever la peau des patates douces, s’il vous plaît ?”,  hausse le chef. Accompagné de Côme, volontaire en  service civique aux longs cheveux qui fait office de commis de cuisine, le chef concocte les menus en s’inspirant de ses précédentes expériences et de ses livres de recettes. “ Tu ne trouveras pas de tomates chez moi en hiver”,  s’exclame Bertrand dans son pull coloré. À la Butinerie, on privilégie la saisonnalité, les circuits courts et l’anti gaspi. Également en lien avec des structures voisines  comme l’Ehpad de la Seigneurie ou le centre d’insertion, le tiers lieu essaie d’accueillir différents publics, pour éviter l’entre-soi et propose aussi des ateliers à thème, comme celui de la galette des rois en début d’année, l’atelier pâtes fraîches ou encore des repas queer solidair…

“ Un peu comme un champ de fleurs, où tout le monde peut venir prendre le morceau de pollen qu’il lui faut, en apportant aussi des choses”, explique Olivier Mugler, administrateur du lieu et dirigeant de la Biocoop mitoyenne, avec une pointe de lyrisme.  L’abeille butine, mange du pollen, en recueille sous ses pattes et ses ailes et le dissémine ailleurs. C’est cette idée d’échange, de mixité de population que la Butinerie tente de créer dans cet immeuble de brique beige entre le canal de l’Ourcq et la nationale 3 à Pantin. La Butinerie est une Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC), un modèle qui permet d’associer différents acteurs – habitants, associations, collectivités – autour d’un projet commun. Elle s’approvisionne directement auprès de la Biocoop voisine et de producteurs locaux, garantissant une cuisine respectueuse de l’environnement et des circuits courts.“ Nous sommes un lieu tiers qui n’est pas que pour les bobos de la Zone d’Aménagement Concerté du Port ( ZAC )* mais qui s’adresse à toute la population”, appuie Olivier. Si l’éclosion de la Butinerie date de 2022, la graine a été plantée il y a  de cela sept ans par des acteurs locaux de la transition, principalement de Pantin, investi.es œuvrant dans le monde associatif. – éducation, citoyenneté, écologie, urbanisme, jardins partagés, agriculture urbaine biologique – “ On faisait des choses séparément sur le territoire, on s’est dit qu’on avait peut-être intérêt à faire converger nos moyens, nos envies, sur un lieu qui serait un endroit synergique pour toutes nos actions”, témoigne t-il d’une voix douce. Avec l’aide de la ville de Pantin et d’Est Ensemble, ils ont désormais pignon sur rue.

“ Bonjour tout le monde ! ”, lance une femme joviale d’une cinquantaine d’années aux cheveux roses méchés. Son arrivée et celle d’une dizaine de personnes signe la fin de l’atelier et le début des festivités. A la Butinerie, même la vaisselle revendique la diversité. Il est rare de trouver des couverts qui font la paire. Et tant mieux ! C’est cette atmosphère que viennent chercher les clients de cette cantine de quartier participative. Le mobilier chiné et les discussions animées font penser à un déjeuner familial. Deux femmes en plein discussion expliquent qu’elles se sont rencontrées ici même un samedi de septembre.  Depuis, elles ne se quittent plus. “ Elle va parfois boire des verres avec mes collègues quand je ne suis pas là “,  sourit l’une des deux, également sociétaire de l’endroit. Avant d’attaquer les premières bouchées, Bertrand s’éclaircit la voix, annonce le menu du jour puis s’assoit à côté d’un ami venu lui rendre visite. Un court silence approbateur s’installe dans la pièce, vite remplacé par la reprise des discussions. “ Je pensais que je n’aimais pas le céleri, je me suis trompée”, s’étonne une femme aux cheveux courts. “ C’est vraiment sympa ici” , se réjouissent d’autres convives. Ici, pas d’addition qui tombe à la fin du repas : chacun donne ce qu’il peut, ce qu’il veut. Un prix libre, à l’image du lieu – ouvert à tous, sans distinction. On se sent tellement comme à la maison qu’on pourrait en oublier de payer l’addition… 

Encore un repas réussi pour le chef et ses apprenti.es. 

* La ZAC du port à Pantin est la transformation d’une friche industrielle et portuaire entre le canal de l’Ourcq et des immeubles d’habitations.

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