Elle a ce sourire doux et décidé, celui qu’on croise dans les manifs, entre deux cordons de CRS, juste avant que la sono s’allume. À 22 ans, Rachel danse, filme, écrit, milite. Un corps en mouvement, un esprit en alerte. “ Je fais la com’, je réalise les clips, j’écris les morceaux… ”, énumère-t-elle comme on récite une liste de courses un peu folle. Tout cela au sein de Planète Boum Boum, collectif artistique à la fibre éminemment politique. Une bande de trentenaires et vingtenaires qui font de la fête une arme et de la musique un manifeste.

Rien ne prédestinait cette fille à tenir un mégaphone en manifestation ou à clamer ses colères en BPM. Originaire d’Auxerre, “une enfance tranquille, à la campagne”, dit-elle. Mais voilà, à l’adolescence, elle devient éco-déléguée, tente d’introduire un menu végétarien dans sa cantine, et s’émeut déjà de l’inaction climatique. À 17 ans, elle monte à Paris pour intégrer une école de cinéma. Son premier vrai déclic, elle le doit à un camp climat organisé par Action Justice Climat. Deux semaines, avec sa famille, des tentes, des ateliers, des discussions, des rencontres : “ l’idée c’est de grandir en tant qu’activiste.” Elle y rencontre deux, trois personnes qui deviendront sa famille militante. Planète Boum Boum naît quelques années plus tard, au cœur des manifs contre la réforme des retraites. Rachel et ses camarades y installent une sono sur chariot, balancent des beats électro et des slogans retravaillés à la sauce techno. Le succès est immédiat. Les passants dansent, s’arrêtent, filment. On est loin des cortèges compassés : “On veut que les gens aient envie de rester, même s’ils ne sont pas politisés ”, explique-t-elle. Le groupe enregistre son premier morceau, Planète Brûlée, et devient vite incontournable dans le paysage militant. Un collectif musical qui revendique le droit à la joie comme outil de lutte.

Leur esthétique est soignée, les clips drôles et absurdes. “ On ridiculise, un peu comme au cirque.  Par le rire, tu vas ridiculiser des figures qui sont devenues banales comme des milliardaires, des politiques et du coup ça remet en question le point de vue qu’on avait sur eux “, sourit-elle. Rachel écrit, tourne, monte. Parfois, elle joue aussi devant la caméra. Elle n’a pas de titre officiel dans le collectif, mais elle est partout. Dans l’ombre et à la lumière, chacun apporte sa pierre à l’édifice : “On est 4 à 5 sur scène à chaque concert mais ça tourne selon les dates,”  explique-t-elle.

Au-delà du son, le message est clair. Chaque clip, chaque événement, est adossé à une cause. Un partenariat avec Sud Rail pour soutenir le fret ferroviaire public , une vidéo à l’appel de Camille Etienne pour soutenir la loi contre les PFAS, une vidéo pour demander l’arrêt du projet de l’A69, une contre la loi Duplomb…. Toujours ce même fil rouge : élargir le cercle, faire passer les idées par le plaisir, la surprise, la fête. “ C’est une entrée plus douce. Tu accroches les gens avec un refrain, et puis, sans qu’ils s’en rendent compte, ils se mettent à y réfléchir. ” insiste t-elle. Planète Boum Boum a aussi son lot de “haters”, mais le groupe voit ça comme quelque chose de positif : “ Dès qu’on a des mauvais commentaires, je me dis ça y est on a dépassé nos cercles, on touche un autre public, ” explique la jeune femme. 

Rachel l’assume : elle est militante. Le mot ne lui fait pas peur, au contraire. Elle le porte comme un drapeau, “on me propose pas mal de projets, c’est là-dedans que j’ai envie de m’engager…”.  Rachel est suivie par 3000 abonnés sur Instagram, beaucoup sont dans le milieu du cinéma, “ ça peut les aider à développer leurs réflexions sur certains sujets”, raconte-t-elle.  La réalisatrice aux cheveux bruns est consciente que la sphère dans laquelle elle évolue est très “bobo parisienne.” « Je suis plutôt privilégiée, alors autant mettre mon énergie au service des luttes. Moi, ça donne un sens à ma vie. », clame-t-elle. “ Beaucoup sont désabusés. Ils pensent que ça ne sert à rien. Moi je crois que c’est exactement ce que le pouvoir veut qu’on pense. Si on perd la foi en l’action collective, on ne bougera plus. ” explique t-elle. Elle veut croire en la puissance de l’imaginaire, des images, des sons. “ Faire la fête, c’est déjà militer. ” termine-t-elle en souriant. Alors elle danse, encore.

À consulter également