Depuis quinze ans, elle plonge dans les eaux de la Marne, défiant les interdictions et les préjugés. Pour Rosalie, nager ici, c’est bien plus qu’un simple loisir : c’est une respiration, un lien avec un peuple des rives, fait de rencontres et de liberté.
Il y a dans la voix de Rosalie un mélange de malice et de conviction. En ce soir de fin d’été, elle sort de l’eau, cheveux humides, sourire éclatant. « Je me baigne pour la joie que ça me donne, c’est tout. Comble de joie ! « Pour elle, la Marne n’est pas seulement un cours d’eau, c’est un rendez-vous avec elle-même. Depuis plus d’une décennie, elle nage régulièrement, presque religieusement, dans ce bras de rivière à la lisière de Paris.
Tout a commencé il y a quinze ans, par un coup de chaud et une carte de métro. « J’étais à Bastille, il faisait une chaleur insupportable. Je me suis dit : il faut que je trouve une rivière proche. J’ai vu que la Marne passait à côté de Maisons-Alfort. J’y suis allée, j’ai trouvé un petit ponton… et je n’en suis plus repartie. » se remémore l’assistante juridique. À l’époque, se baigner dans la Seine ou la Marne relevait de l’exception. Les rares nageurs étaient souvent des étrangers. Rosalie se souvient d’une fête à Issy-les-Moulineaux : « Les seuls qui s’étaient baignés dans la Seine étaient un Palestinien, un Albanais et un Colombien. Les Français regardaient, incrédules. »
Ici, au fil des ans, elle a vu le paysage humain évoluer. Autrefois peu fréquentées, les rives sont devenues un point de ralliement estival pour des jeunes venu.es de partout, parfois au détriment de la tranquillité. Mais Rosalie garde le goût des rencontres : un vieil homme yougoslave qui voyait dans la Marne le Danube de son enfance ; des familles brésiliennes venues pique-niquer ; des réfugiés afghans et iraniens, contemplatifs, au bord de l’eau.

Elle connaît aussi les ombres du tableau : les noyades régulières, la surveillance accrue, l’amende qu’elle a reçue il y a dix ans. Mais rien n’a entamé son attachement à ce lieu. « Dans une piscine, je m’ennuie. Ici, j’ai l’impression d’être dans l’aventure. Et puis, il y a cette lumière, cette impression d’être coupée du monde grâce… à l’autoroute derrière ! « , heureusement cachée par un rideau d’arbres. Elle rit : « Sans elle, il y aurait des immeubles, ce serait moins joli. «
Son rituel est immuable : après le travail, elle traverse Paris, trois quarts d’heure de trajet pour plonger dans ce décor mi-urbain, mi-sauvage. En picorant une olive, elle regarde les nuages défiler. « J’adore admirer le ciel. » rêvasse-t-elle. L’eau trouble ? « Ça n’a jamais été un problème pour moi. Certains sont angoissés de ne pas voir le fond, mais moi, j’aime ce mystère. » raconte-t-elle en remettant la bretelle de son maillot.
Le lieu, gratuit et accessible, rassemble toutes sortes de publics : jeunes, familles, couples, artistes, nouveaux venus en France… Rosalie, elle, est venue avec sa nièce et un ami américain. Ils partagent un pique-nique sur une nappe rouge. « C’est un mélange que j’adore. On partage un moment, parfois juste le fait de regarder l’eau ensemble. Les gens sont beaux au bord d’une rivière. » s’exclame-t-elle. Cet été, elle a encore nagé presque tous les jours, malgré la « petite invasion » de baigneurs, parfois bruyants. « Je râle un peu mais je suis heureuse que les gens redécouvrent les rivières. Il y a quelque chose de très humain à aimer l’eau. » sourit-elle
Rosalie ne sait pas si elle ira un jour tester les nouvelles zones de baignade aménagées dans la Seine et dans la Marne. Elle redoute les bouées obligatoires, les horaires stricts. « Ici, c’est libre. Je choisis quand je viens, je choisis où je nage. C’est mon bout de nature, ma respiration. » termine-t-elle en se servant un verre de vin rouge.

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