Du séminaire en entreprise à la guérilla urbaine, la confection de petites boules de terre s’impose de plus en plus dans le mouvement écologique. Réelle arme de mobilisation ou simple opération de communication ?
Le 19 mai dernier, des militants du collectif contre la ligne 18 lançaient des projectiles sur le chantier du métro Grand Paris Express pour s’opposer à sa construction. Quelques jours plus tard, petits et grands se retrouvaient autour d’un atelier de sensibilisation dans le cadre de la fête de la nature à Fresnes. Deux salles, deux ambiances et pourtant un même outil : la bombe à graines.
Cette petite boule de terre s’impose comme l’outil incontournable de sensibilisation ou de revendication. Le principe ? Enrober des graines de différentes variétés d’une couche d’argile ou de terre pour garantir une meilleure pousse.
Plantes mellifères, vivaces ou comestibles, toutes les combinaisons sont possibles tant que la promesse d’une plantation efficace en tous milieux est garantie. Friches, trottoirs, plates bandes ou projets contestés, les bombes à graines sont ainsi censées renaturer les nombreux endroits pauvres en biodiversité. Elle s’inspire d’ailleurs des scarabées bousiers qui disséminent et fertilisent des graines en roulant des boules d’excréments.
De l’Égypte antique au New York des années 1970
Inventée pendant l’Antiquité, la bombe à graines avait jadis une fonction agricole bien précise. Après les crues, on utilisait cette solution pour planter des cultures sur les rives hydratées, en évitant que les graines servent de nourriture aux oiseaux et autres animaux. La couche d’argile devait ainsi permettre de protéger au mieux les graines tout en gardant l’humidité. Cette technique a été beaucoup utilisée sur les rives du Nil lors de la période de l’Egypte ancienne. Elle est ensuite tombée dans l’oubli pendant très longtemps.
Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que la technique des boulettes de graines est remise au goût du jour par un célèbre jardinier japonais. Masanobu Fukuoka voulait trouver un moyen d’accroître la production alimentaire, sans supprimer les terres déjà allouées à la production du riz traditionnel. Il découvre ainsi cette solution antique et l’adapte au mieux pour cultiver les sols riches volcaniques du Japon de façon naturelle.
Les petites boulettes de terre sont finalement rebaptisées “bombes à graines” dans les années 1970 aux Etats-Unis, lorsqu’elles sont utilisées comme moyen de renaturer des espaces de façon clandestine. La militante Liz Christy revendique pour la première fois cette technique en 1973 quand elle démarre la “Green guerilla” à New York. De nombreux espaces de la ville ayant été abandonnés et grillagés à la suite de la crise économique, les collectifs militants utilisent ces “grenades à graines” – d’abord confectionnées avec des préservatifs ! – comme un moyen de les transformer en jardins et de se réapproprier ainsi l’espace. Le lexique guerrier sert alors à “déclencher une véritable révolution populaire” en brouillant les frontières entre la plante, l’outil et l’arme.
De la manifestation aux ateliers jardinage
C’est cet héritage que revendique aujourd’hui le mouvement écolo en lançant toujours des bombes à graines à travers les grillages protégeant les chantiers de projets néfastes à l’environnement, comme l’artificialisation du plateau de Saclay ou encore l’aménagement d’une piscine olympique à Lille.
Mais le pouvoir symbolique de la bombe à graines s’est depuis largement élargi. Si elle cherche à représenter une forme d’action directe, la boule de graines reste avant tout une opération de jardinage. Elle a ainsi depuis conquis les ateliers de sensibilisation de tous bords, jusqu’aux séminaires d’entreprises. “Depuis 2019, on le propose à nos clients parce qu’il s’agit d’un atelier sympa qui permet d’expliquer les enjeux de l’environnement de façon simple”, explique Paul Rousselin, directeur de l’entreprise Cueillette urbaine. Au milieu des différentes formations à l’agriculture en ville, la bombe à graines tient une place importante dans son catalogue proposé aux professionnels. “C’est vraiment à la mode, même si je ne sais pas ce que font les participants de leur bombes à graines une fois l’atelier terminé”, admet-t-il.
Une solution contre la déforestation ?
Les plantes issues de bombes à graines, Juliette, créatrice de l’entreprise Parsemains, les affiche, elle, fièrement en face de son nouveau magasin. Adepte des cartes ensemencées que l’on peut mettre en terre après réception, elle a décidé de se lancer dans leur production avec son conjoint pendant le confinement. Revendiquant le statut d’unique fabricant de papiers à graines dans l’hexagone, elle ne pouvait pas passer à côté de l’engouement autour des boules à planter. “Nous utilisons les chutes de nos papiers ensemencés et des graines hors-calibres, trop grosses, pour confectionner des boules constituées d’une vingtaine de graines issues de plusieurs variétés”, explique-t-elle, en vantant une forme d’appropriation de l’espace, avec la mise en fleur de nombreux espaces. Aux États-Unis, certains collectifs réalisent ainsi des rondes en skateboards pour ensemencer les talus inutilisés des villes.
À plus grande échelle, les bombes à graines sont désormais aussi utilisées pour lutter contre la déforestation et planter en masse. Au Kenya, près de 16 millions de petites boules composées de charbon ont été lancées à pied, en voiture et même en hélicoptère depuis 2016. Objectif: permettre à un maximum d’acacias de prendre racines sans efforts. De la renaturation du coin de la rue aux grandes opérations de plantation, à chaque nouvel enjeu écologique, sa bombe à graines. Saurez-vous trouver le vôtre ?