Là où vous voyez une rue ou un parc, certains voient aussi un garde-manger. Fruits, fleurs ou plantes médicinales, de nombreuses personnes perpétuent la tradition du glanage à Paris et dans sa banlieue. Depuis des années, Sophia Hadet, jardinière du parc de Belleville, observe un étrange ballet, très tôt le matin ou tard le soir pour rester discret. « Il s’agit bien souvent de personnes âgées qui savent très bien quelles plantes chercher. »

La pratique du glanage, soit le fait de récupérer des denrées alimentaires résiduelles pour son alimentation, est très vieille. Dès le Moyen Âge, il s’agit d’un droit pour permettre aux plus pauvres de se nourrir à partir des légumes ou fruits négligés par les agriculteurs dans les champs. Aujourd’hui encore, la jurisprudence rappelle que ces pratiques « ne sont pas assimilées à du vol et que le droit de propriété s’efface ainsi devant l’urgence d’accéder à une alimentation saine, variée et de proximité ». Ce droit doit cependant s’exercer de jour, dans des espaces non clôturés et sans outils.

Dans un parc, “ça fait partie du jeu ! »

Au parc de Belleville, Sophia Hadet reconnaît qu’il y a les bons et les mauvais glaneurs. Celles et ceux qui prélèvent selon leurs besoins sans endommager les parterres et en laissant suffisamment de plantes pour qu’elles puissent repartir t. Et les autres, qui se jettent sur les premières mûres et framboises, sans leur laisser le temps de se développer. Le pire et le plus visible pour Sophia Hadet reste les personnes qui « vont piquer des plantes d’ornement », détruisant alors le travail des jardiniers.

Parc de Belleville – Pianch/Flickr

Si l’incitation à la cueillette ne constitue donc pas une politique de la ville, les responsables de jardins municipaux affirment laisser faire. « Cela vaut toujours le coup de faire connaître aux gens les bienfaits des plantes », considère Sophia Hadet, qui revendique la mise en place d’étiquettes pour renseigner le nom des espèces dans le parc. « C’est de l’éducation populaire, alors autant encourager les gens à glaner. Si c’est fait proprement, ça fait partie du jeu ! »

À chaque communauté ses usages

À côté des fraises et framboises très convoitées, la jardinière observe que certains visiteurs se servent du lierre pour confectionner de la lessive et récoltent l’ail des ours, pour agrémenter leurs plats. Elle a également identifié des pratiques et savoirs différents en fonction des usagers. Le matin, Sophia Hadet sait qu’il s’agit plutôt de femmes d’origine asiatique  qui viennent se servir en pissenlits, utilisées pour les salades, en jeunes pousses de bambou et en clématite (une plante vivace), utilisées pour se soigner. 

Plus tard le soir, des hommes de la même communauté viennent chercher des poires difficiles d’accès, avec des manches qu’ils ont eux-mêmes confectionnés. Au milieu de la journée, certaines personnes originaires du Maghreb prélèvent du cardon, de la famille des artichauts, utilisé dans le couscous. « Quand on nous voit travailler dans les massifs, certains viennent nous demander. D’autres savent très bien où aller pour trouver ce qu’ils recherchent », relate Sophia Hadet.

Tandis que les stages de reconnaissance de plantes sauvages font le plein et que les tutos pour confectionner des produits avec des éléments naturels se multiplient, le glanage du parc de Belleville reste majoritairement exercé par des retraités qui ont le temps. « Pour éviter la pollution, les personnes qui recherchent des produits d’alimentation vont plutôt à l’extérieur de Paris », précise Sophia Hadet, en rappelant qu’avec les particules fines, il faut absolument laver les produits récoltés en ville avant de les utiliser.

Les oiseaux aussi glanent dans le parc

Pour autant, l’agriculture urbaine continue de se développer. En plus du vin produit avec les vignes du parc pour perpétuer la tradition vieille de plus de cent ans, le houblon va également y être cultivé. Une brasserie associative souhaite en effet utiliser le jardin des Petites-Rigoles pour cultiver la plante vivace nécessaire à la fabrication de la boisson et permettre aussi à la population de se servir. 

Grâce au glanage, le parc se trouve au centre d’un cercle vertueux. Certains arbres fruitiers ont poussé grâce aux noyaux laissés par les gens pendant leur pique-nique. Les oiseaux vont, eux aussi, pouvoir glaner certains fruits hors de portée des humains et se servirent au passage dans les déchets laissés. « Comme les plantes glanées sont présentes en grande quantité, et qu’il n’y a aujourd’hui pas assez de personnes pour les prélever, l’équilibre est préservé », se réjouit Sophia Hadet, qui avoue aussi se servir en ail des ours et dans le mûrier, en bas de chez elle. Une belle façon de connaître son environnement et de se nourrir à la marge, sans payer.

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