La ressourcerie fondée par Caroline Kotb, au Pré Saint-Gervais, illustre l’essor de ces lieux où économie circulaire et lien social se nourrissent mutuellement. Derrière l’exemple de cette jeune femme engagée, c’est un mouvement de fond qui émerge : celui de la réappropriation des objets, des ressources et des espaces communs dans un monde en quête de durabilité et de solidarité.

À la terrasse du Préau au Pré Saint-Gervais, Caroline sirote une citronnade en racontant son parcours, les yeux pétillants de passion. L’ouverture prochaine, de l’autre côté de la rue, des Ressourcées, un projet sur lequel elle travaille depuis plusieurs années, marque une étape décisive dans sa vie. Initialement formée au commerce, elle aurait pu poursuivre une carrière conventionnelle et confortable dans de grandes entreprises. Mais son aspiration à porter un projet de proximité, qui a du sens, la pousse vers l’Economie Sociale et Solidaire.  «Je sentais que j’avais besoin d’être plus sur le terrain, d’avoir plus de lien avec un public, de toucher à une variété de choses ».

Lors d’une réunion sur la gestion des encombrants au Pré Saint-Gervais, petite commune de Seine-Saint-Denis où elle vit, à la lisière du 19e arrondissement parisien, l’idée d’une ressourcerie jaillit dans son esprit. Son ambition va bien au-delà du simple dépôt-vente : elle veut créer un lieu de vie où l’on tisse du lien, où les habitants se rencontrent, partagent et prennent conscience de l’importance d’une consommation plus responsable. Après avoir dirigé quelque temps La Recyclerie de La Noue à Bagnolet, tout en proposant régulièrement une ressourcerie itinérante au Pré, à l’occasion d’événements conviviaux dans l’espace public, elle se consacre désormais entièrement à son projet de recyclerie gervaisienne, soutenue par 3 habitantes élues au bureau.

Dès le départ, elle se heurte à la difficulté de trouver un local adapté à sa vision. Mais Caroline garde le cap, convaincue «  qu’on ne peut  pas demander aux gens d’agir pour la transition écologique si les personnes sont exclues. Il faut aussi créer un projet social qui permet de s’adresser à tout le monde pour qu’ils sentent qu’ils contribuent à un projet commun. » 

Un mouvement d’ampleur nationale

L’histoire de Caroline s’inscrit dans une tendance de fond. Les ressourceries connaissent un essor notable ces dernières années en France. En 2023, le réseau national des ressourceries et des recycleries comptait 216 ressourceries adhérentes, contre 172 en 2021. La multiplication  de ces structures est le reflet d’une prise de conscience collective face à l’urgence écologique et aux inégalités sociales. Ces lieux émergent comme des alternatives locales au système de consommation linéaire. En collectant, triant, réparant et revendant des objets de seconde main, les ressourceries encouragent une économie circulaire tout en sensibilisant à la réduction des déchets. En 2021, environ 50 000 tonnes d’objets ont été collectées par les ressourceries, dont 20 000 tonnes ont été valorisées et remises en vente. 

Ces initiatives ne sont pas uniquement des réponses écologiques, elles portent aussi un projet social inclusif. A l’image des Ressourcées, elles deviennent des espaces de mixité où se côtoient différentes catégories sociales, où les échanges ne sont pas uniquement monétaires. On peut venir pour dénicher des objets à petits prix, partager des savoir-faire lors d’ateliers ou simplement se sentir utile dans son quartier. En ce sens, ces lieux fonctionnent en unissant des citoyens autour d’un projet commun.

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Défis et perspectives

Le modèle économique de ces acteurs locaux, pourtant essentiels, est fragile. En 2024, pour trouver des financements supplémentaires, la ressourcerie du Pré Saint-Gervais participe au budget participatif de la ville, un processus de démocratie locale (né à Porto Alegre en 1989) qui permet de voter pour les projets que les habitant•es ont envie de voir grandir en bénéficiant d’une aide financière. Les Gervaisien•nes votent massivement pour la ressourcerie, un soulagement pour la jeune femme qui peut alors, avec le soutien de la commune, d’Est Ensemble, du département de la Seine-Saint-Denis, de la région Île-de-France et de SYCTOM, envisager plus sereinement de s’installer dans un local à la mesure de ses objectifs. 

Dans quelques semaines, la ressourcerie de la trentenaire quittera le rez-de-chaussée de la cité Jean Jaurès, où elle s’était installée en attendant de trouver un local plus grand. Si la structure a été bien accueillie par les habitant•e•s de ce quartier prioritaire, qui plusieurs fois par semaine peuvent s’arrêter devant les portants de vêtements à 2€ à l’entrée de la cité, l’espace manque pour réaliser des ateliers de sensibilisation, des activités manuelles comme de l’upcycling ou de la réparation, ou évidemment stocker les collectes de textiles, de vaisselle, d’objets du quotidien et de meubles de seconde main. En 2023, 4 632 kg d’objets en tout genre ont été collectés et 1 495 objets ont trouvé une seconde vie, avec l’aide d’une trentaine de bénévoles.

Grâce à la mairie, Caroline a fini par trouver le  local de ses rêves. « Notre première étape dans la cité Jean Jaurès a permis de montrer que le projet marchait et qu’il avait tout son sens dans la ville. La mairie a eu l’opportunité d’acheter un local et a pensé à nous pour y installer la ressourcerie.».

Une transformation sociétale en marche

Le projet, porté depuis 3 ans par Caroline, récemment rejointe par une salariée, montre combien les ressourceries ne sont pas seulement des lieux de recyclage mais aussi des espaces de transformation sociale. Ils incarnent un modèle d’économie solidaire, où chaque citoyen peut trouver sa place et contribuer, à son échelle, à un monde plus durable et plus juste. Grâce au nouveau local qui ouvrira cet hiver, après plusieurs mois de travaux, et avec une équipe qui s’agrandit, Caroline va pouvoir enrichir sa proposition. « Il y aura une boutique bien sûr, mais aussi un espace pour les ateliers… et un espace extérieur pour accueillir des événements et des animations, en partenariat avec d’autres associations de la ville. On veut vraiment que ce soit un lieu ouvert, un lieu ressource pour tout le monde. (…) Il y a encore peu de lieux où toutes les associations du Pré Saint-Gervais peuvent se retrouver. Durant les temps de sensibilisation, les personnes apprendront des autres et aux autres, elles partageront leurs savoirs et leurs savoir-faire. »

Au-delà de leur impact local, les ressourceries sont emblématiques d’une bifurcation plus large. Elles représentent une nouvelle manière d’aborder l’économie, l’écologie et les relations humaines, en s’insérant dans une logique de coopération, d’entraide et de respect des ressources. Ces lieux nous rappellent que l’écologie ne peut être dissociée du social, et qu’ensemble, il est possible de créer des espaces où l’on consomme moins et où l’on vit mieux.

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