“Fais du vélo, fais du vélo, tu vas te faufiler partout et doubler toutes les autos Fais du vélo, Fait du vélo, Tu n’auras plus jamais, non plus jamais, les nerfs à fleur de peau. Tu n’auras plus jamais le moral à zéro”. Pas sûr que les cyclistes d’aujourd’hui soient toustes aussi zen que ne le chantait Georgette Plana dans les années 60,  mais la bicyclette a récemment conquis une bonne partie de la population francilienne. Comme le révèle l’enquête Régionale Mobilité, qui se base sur le suivi GPS de 3337 Francilien.nes pendant l’hiver 2022/2023, le vélo est 2,5 fois plus utilisé que la voiture à Paris. Et en Seine-Saint-Denis, plus de quarante km d’aménagements cyclables ont été réalisés depuis 2021. Ce qui place ce département en tête de tous les autres franciliens. 

Qui sont ces cyclistes que l’on voit filer  parfois à tout allure, à vélo électrique ou musculaire, qui une enceinte autour du cou crachant un air entraînant, qui 3 enfants emmitouflés dans un cargo, avec ou sans casque, de plus en plus souvent muni.es d’un attirail complet contre la pluie et le vent. 

transonore est allée à leur rencontre, sur une piste cyclable à la lisière du 93 et du 19ème arrondissement. 

Au feu rouge, Roland, 60 ans, casque bleu sur la tête, lunettes rouges sur le nez et sourire rayonnant, attend. Il muscle depuis maintenant plus de 10 ans ses mollets sur sa bicyclette. Ses raisons ? D’abord écologiques puis sportives et il n’est finalement jamais redescendu sur les quais du métro. S’il regrette que les conflits entre cyclistes soient assez récurrents et que certains piétons fassent crotter leurs chiens sur la voie cyclable, cela ne l’empêche pas d’enfourcher son vélo presque tous les jours. Ses plus belles promenades se font dans le bois de Vincennes ou sur le canal de l’Ourcq, qui relie le 19e arrondissement à la Seine-et-Marne, en passant par plusieurs villes de Seine-Saint-Denis.

Ethan, 15 ans, connaît bien le parc de la Villette, c’est d’ailleurs là qu’il a appris à faire du vélo. Depuis, son deux roues ne le quitte plus, que ce soit pour aller au lycée tous les jours ou faire de longues balades de 3 jours avec son père sur le bassin d’Arcachon. 

Frédéric, professeur de mathématiques à Bobigny, ajuste son casque. Cela fait maintenant quinze ans que ce quinquagénaire a troqué sa voiture contre son vélo. “ Au départ, j’utilisais la voiture un peu par habitude et parce que tout le monde faisait ça, sans vraiment me questionner mais je me suis vite rendu compte que je gagnais autant de temps, voire plus, sans la contrainte de chercher une place pour me garer », explique t-il avec un sourire. Si le froid ou la pluie matinale lui donnent parfois envie de rester sous la couette, Frédéric ne changerait son deux-roues pour rien au monde. “ Il y a  un effet boule de neige : de plus en plus de mes collègues prennent le vélo, on doit maintenant être une douzaine à arriver au boulot à vélo”. Frédéric a connu son lot de mésaventures, notamment des accidents dus à des automobilistes inattentifs sur les pistes cyclables. « À l’époque où les aménagements étaient encore rares, beaucoup ne respectaient pas les cyclistes. Même maintenant, il y a des tensions. Parfois, on se fait frôler, ou pire, serrer contre le trottoir. » Malgré ces moments tendus, Frédéric ne se décourage pas. Au contraire, il recommande vivement une balade le long du canal, qui traverse Bobigny avant de s’enfoncer dans des kilomètres de forêt. « C’est un coin magnifique, parfait pour déconnecter le temps d’un après-midi. »  

Vincent, 45 ans, lui aussi enseignant, est devenu adepte du vélo il y a cinq ans. Pantinois, il a troqué les transports en commun pour son fidèle destrier, un choix qu’il qualifie avant tout de pratique. « Finalement, c’est plus simple de prendre le vélo que les transports », explique-t-il. Son vélo ? Un modèle de route d’occasion : « Comme il est rouillé, je pense qu’on ne va pas me le voler. »  Il remarque avec satisfaction l’essor du cyclisme urbain : « Il y a beaucoup plus de vélos sur les grands axes, comme le boulevard de Sébastopol. » Pour une balade agréable, il recommande le canal de l’Ourcq « Monter jusqu’à Villepinte ou même plus loin, c’est vraiment sympa. »

À 31 ans, Marina est en pleine reconversion professionnelle. Ancienne adepte du métro parisien, elle a troqué les wagons bondés contre un vélo électrique hérité de sa grand-mère. Apprentie fleuriste, elle pédale chaque jour entre Aubervilliers et le centre de Paris, qu’il vente ou qu’il pleuve.  « Au début, c’était surtout pour fuir le métro, raconte-t-elle avec son casque à fleurs assorti au métier qu’elle apprend. J’ai grandi en banlieue, alors les problèmes de transport, je connais. Une fois à Paris, je me suis rendue compte que le métro était tout aussi pesant. Avec le vélo, j’ai découvert une vraie coupure entre le travail et la maison. » Pour elle, le vélo, c’est aussi un moyen d’économiser. Après un investissement initial dans des équipements comme des gants de ski et un pantalon de pluie, les coûts restent très faibles, surtout face au prix des tickets de métro. Mais tout n’est pas parfait dans le monde des deux-roues. Marina déplore des pistes cyclables parfois mal conçues et une cohabitation parfois compliquée avec les piétons ou les autres cyclistes. « Il y a des endroits où attendre le feu vert devient dangereux, et certaines pistes ne sont pas adaptées au nombre croissant de vélos », note-t-elle. « Une fois, j’ai eu une friction avec un piéton grognon. Je lui ai simplement souri, et il a fini par sourire aussi. » Et si elle laisse les balades du week-end à d’autres, elle admet : « Le canal de l’Ourcq, sous la pluie ou au soleil, ça reste une valeur sûre. »

Jean-Pierre, 68 ans, a toujours roulé. À vélo, bien sûr. D’abord pour son travail de facteur à la Poste, puis par choix, lorsque les grandes grèves de 1995 l’ont poussé à ressortir sa vieille bicyclette. Depuis, il n’a jamais arrêté. « Ça fait plus de trente ans que je pédale presque tous les jours. » À l’époque, la ville n’était pas aussi accueillante pour les cyclistes qu’aujourd’hui. « Il n’y avait presque pas de pistes cyclables, et les voitures étaient partout. C’était vraiment infernal. »  Aujourd’hui, Jean-Pierre sillonne les routes entre Paris et Saint-Denis, que ce soit pour une balade ou pour éviter de “s’effondrer.” Blagueur, Jean-Pierre confie d’abord être skateboard avant de se raviser et de confesser qu’il est retraité. Son vélo est un cadeau d’une amie, qu’il a joliment décoré d’un pompon violet. « Mon ancien vélo était plus adapté, mais on me l’a fauché. Ça arrive régulièrement, tous les deux ans environ. Dès qu’un vélo roule bien, il attire les voleurs », explique-t-il, fataliste.  Jean-Pierre est lucide sur les améliorations cyclables de ces dernières années : « Ça progresse doucement. On restreint la place des voitures, et ça devient un peu mieux pour nous, les cyclistes. Mais j’aimerais un vrai chambardement, que tout le monde passe au vélo ! » Lorsqu’on lui demande ses coins préférés, il évoque ses itinéraires favoris : le long du canal, la Seine jusqu’à Enghien pour faire le tour du lac, ou encore le parc Georges-Valbon.

À 36 ans, Carole a trouvé son équilibre dans la vie citadine grâce à son vélo. Graphiste, elle a adopté ce moyen de transport avant tout pour éviter les désagréments du métro nocturne. « C’était plus sûr et bien plus agréable », explique-t-elle. Son vélo, un modèle semi-course acheté d’occasion à un ami, l’accompagne au quotidien, notamment sur son trajet entre Aubervilliers et République, longeant les canaux de Paris. Une balade qu’elle recommande d’ailleurs à ceux qui souhaitent découvrir l’Île-de-France à deux roues, mentionnant avec enthousiasme le canal de l’Ourcq qui « va hyper loin, c’est trop bien à faire ». Côté entretien, Carole a appris à mettre les mains dans le cambouis. « Je fais certaines réparations moi-même », confie-t-elle, ce qui réduit ses dépenses annuelles. Cependant, elle reste critique envers les infrastructures cyclables parisiennes : « Les pistes sont mieux qu’avant, mais les croisements sont mal conçus, surtout dans les rond-points. On dirait que les designers n’ont jamais fait de vélo. » La densité croissante des cyclistes sur des pistes souvent trop étroites n’aide pas non plus. « Il y a des tensions entre tout le monde : cyclistes, piétons, automobilistes. Même entre nous, les cyclistes, ce n’est pas toujours hyper solidaire », regrette-t-elle.  Et puis, il y a les courses improvisées. « Surtout avec les mecs qui n’aiment pas se faire doubler par une femme, même si je n’ai pas d’électrique. Ils prennent des risques juste pour prouver qu’ils vont plus vite », rigole Carole en enfourchant son biclou.

À consulter également