Durant 8 semaines, des habitantes du Pré Saint-Gervais apprennent à faire du vélo avec l’association parisienne Cyclavenir. Leur objectif ? Arriver à pédaler seules en ville. Un apprentissage synonyme de fierté, d’autonomie et de solidarité féminine.

Il fait à peine 13°C en cette matinée mi-couverte. Pourtant, sur le parking du Zénith de Paris, dans le parc de la Villette dans le 19e arrondissement, Nassima, Sabrina, Samia, Caroline, Dekhra et Wahiba transpirent sous leur manteau. 

La tête protégée d’un casque et le torse recouvert d’un gilet de sécurité jaune fluo, les 6 mères de famille multiplient les tours de vélo sur cette piste cyclable de fortune. Essoufflée mais tout sourire, Samia s’arrête : “Mon vélo a déraillé !”. Orianne, la médiatrice reconnaissable à son gilet de sécurité rose, se penche sur le problème. Au même moment, Dekhra, toujours en selle, peine à freiner  : “Anticipe, arrête de pédaler !”, lui conseille Orianne de loin, toujours accroupie devant le vélo de Samia.

Orianne Miyakou est salariée de l’association Cyclavenir. L’association parisienne, créée il y a 5 ans, propose des cours de vélo à des femmes en situation d’isolement et/ou de précarité : “On travaille surtout avec des centres d’hébergement d’urgence pour femmes”, précise la monitrice. Deux formules sont proposées aux futures élèves et aux structures qui les accompagnent : “On a un programme long, qui s’étale d’avril à octobre, avec des cours une fois par semaine, et un programme court avec des cours qui se déploient sur 8 semaines à raison d’un cours par semaine aussi.” Nassima, Wahiba, Dekhra, Sabrina, Samia et Caroline ont opté pour ce dernier. Aujourd’hui, c’est leur 4ème séance.

Membres du café culturel Jeden, une association qui favorise l’accès à la culture  et qui réunit des femmes du Pré Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis), les élèves d’Orianne sont sous son aile depuis fin septembre. Comme tous les samedis depuis le début des cours, elles se sont retrouvées vers 9h30 au Pré Saint-Gervais pour récupérer leurs vélos dans un local en pied d’immeuble. Elles ont ensuite pris la direction de la Villette : “Au début, on s’entraînait dans un parc à côté. Mais comme on est nombreuses, on a eu besoin de plus d’espace pour pratiquer”, se remémore Caroline. Le retour au Pré Saint-Gervais est prévu à 12h30.

Avant ce stage, Caroline ne savait pas du tout faire de vélo. Aujourd’hui, la trentenaire au visage amical arrive à pédaler seule, “pendant 5 minutes sans m’arrêter”, ajoute-t-elle avec fierté. Fierté qu’elle partage avec toutes ses camarades : “Pendant la troisième séance, Orianne nous a amenées pédaler au bord du canal Saint-Martin. Avant, je ne serais jamais passée par là à vélo, je ne sais pas nager !”, s’exclame Nassima, impressionnée par ses propres progrès. “J’étais fière de moi.”

Il faut dire que, pour beaucoup d’entre elles, savoir monter à vélo représentait un rêve. Notamment pour Sabrina, instigatrice du projet : “Je suis quelqu’un qui a besoin de beaucoup de liberté et je savais qu’apprendre à pédaler me permettrait d’être plus libre. Je travaille la semaine, j’ai 4 enfants, j’en avais besoin.” Quand Aneta, la fondatrice du café culturel, demande aux bénéficiaires de son association leur activité rêvée, la réponse est évidente pour la mère de famille. Après concertation avec les autres femmes, le choix est fixé. Et il faut croire qu’elle a visé juste : “Faire du vélo, c’était un rêve de petite fille mais je n’avais pas de vélo chez mes parents. Une fois en France, voir tout le monde pédaler me donnait une sensation de liberté et de détente. Ça m’a redonné envie de m’y mettre. Cyclavenir m’a permis de réaliser ce rêve”, confie Nassima, 48 ans, un sourire apaisé aux lèvres.

Les futures cyclistes se félicitent mais n’oublient pas de remercier leur monitrice et les bénévoles qui l’accompagnent : “Les cours sont géniaux, c’est une initiative magnifique”, s’extasie Sabrina. “Françoise m’a boostée, j’ai beaucoup d’amour pour elle”, déclare Caroline, tout en enlaçant l’intéressée. Françoise, sexagénaire joviale, profite de sa retraite pour faire du bénévolat au sein de Cyclavenir. Avec Moïra, jeune entrepreneuse aussi bénévole pour l’association, elle donne un coup de main à Orianne durant ce stage pour soutenir les élèves. 

Un stage fait par et pour des femmes, donc, le tout dans la bonne humeur et la bienveillance : “C’est sympa de faire du vélo entre nous. J’ai l’impression d’être célibataire”, plaisante Wahiba. Pari réussi pour Orianne, convaincue que ces stages sont des vecteurs d’indépendance et de bien-être pour les femmes : “On veut qu’elles puissent se déplacer seules en ville, mais aussi qu’elles aient un moment pour elles. On se rend compte que les cours permettent de tisser du lien.” 

Il est un peu plus de midi. Ce n’est pas prévu et même si l’effort des dernières heures a été considérable, certaines choisissent de rentrer au Pré Saint-Gervais en pédalant. Le regard au loin et déterminé, Sabrina nous lance depuis sa selle : “Je pense que toutes les femmes qui n’ont pas pu le faire petites devraient apprendre à faire du vélo. Les femmes, elles sont toujours inquiètes, elles n’osent pas. Apprendre à monter à vélo leur montrerait qu’elles peuvent tout faire.”

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