Vivre et travailler au même endroit permet de supprimer les trajets quotidiens et d’économiser des mètres carrés. Une solution mise à l’essai par quelques entreprises, notamment dans le quartier de la Chapelle à Paris, qui peine pourtant à se généraliser.
Son magasin a des allures de chambre mal rangée. Et pour cause, Bruno vit dans le même bâtiment que son atelier de maroquinerie. À l’étage, son appartement de 65 m2, au rez-de-chaussée, son local commercial de surface équivalente. Une formule proposée depuis quatre ans dans le nouveau quartier de la porte de la Chapelle, à Paris, qui répond au doux nom anglais de SOHO, pour Small Office Home Service, soit “bureau à domicile”.
Une formule écologique en vogue pour supprimer les trajets du quotidien et leur pollution, ainsi que pour développer une vie de proximité. « Avec ça, j’économise près de 500 € d’essence par mois, je me demande même encore pourquoi j’ai une voiture », confirme Bruno, se déplaçant seulement pour vendre ses produits dans les différents salons et foires de Paris.
Revenir à l’organisation des commerces du 19e siècle
Concrètement, les différent.es locataires signent un seul bail, à la fois locatif et commercial. “Tous les commerces parisiens étaient comme ça au 19ᵉ siècle”, sourit Christophe Gerbenne, directeur immobilier des bâtiments pour le bailleur RIVP. “Pour des gens qui ont des horaires décalés, c’est plutôt pratique.” Concept store, école de tatouage, entreprise informatique… une diversité d’artisans et de commerces a déjà pris ses quartiers.
« Sur le papier, c’est une superbe idée, mais au fur et à mesure, les galères s’accumulent », nuance tout de même Bruno, de l’enseigne “Chic et singulier”. Taille des locaux difficile à moduler, manque de clientèle et de candidats à l’installation… « Ici, on est presque tous endettés ». En plus de la mauvaise réputation du quartier liée aux problèmes de drogue, il pointe les deux grandes tours de bureaux vides à proximité. La promesse d’attirer de nombreux salariés dans le quartier s’est totalement effondrée avec la pandémie et le développement du télétravail. Alors les client.es se comptent sur le doigt d’une main, “les habitants passent du métro à la maison sans même s’arrêter”.
Les quartiers d’affaire ne sont pas ceux où l’on a envie de vivre
Aujourd’hui, de nombreux espaces sont ainsi vacants ou très peu occupés. “On a du mal à trouver des candidats et en construire 60, c’était peut-être un peu beaucoup”, confirme Christophe Gerbenne, en considérant que cette solution fonctionne mieux en centre-ville. L’enjeu pour la Société d’économie mixte à la manœuvre est donc de continuer à proposer des lieux attractifs à la fois pour vivre et travailler. “Avec la réputation du quartier, soit les professionnels qui viennent ici démarrent des activités et sont donc fragiles financièrement. Soit ils deviennent solides financièrement et ne veulent plus venir habiter là”, explique Christophe Gerbenne.
Pour tenter un jour de revenir à l’équilibre, la structure envisage donc de changer son fonctionnement. De nombreux locataires ou candidats étaient notamment réticents à vivre et travailler dans le même espace par peur de ne pas avoir la coupure nécessaire entre le professionnel et le personnel. Depuis cet été, il est donc possible de louer un local de travail sans forcément devoir habiter au-dessus. Une disposition qui compromet le projet initial pour “tenter de sauver la vie du quartier”.
La salle à manger transformée en coworking
Pour Cédric Ringenbach, créateur de la Fresque pour le climat, “la séparation entre privé et professionnel ne se fait pas en termes d’espace, mais avec les horaires.” À partir de 8h30, le matin et jusqu’à 19 h 30 le soir, son appartement de 120 m², déclaré comme un logement de fonction, en plein centre de Paris, bascule en mode bureau et accueille près de 16 collaborateurs. “C’est une solution assez facile, il y a plusieurs pièces qui ont une double fonction : la salle à manger sert d’espace de coworking et les deux petites salles de réunion sont aussi des chambres.”
Le chef d’entreprise, qui a aménagé ses bureaux dans son logement, milite pour que cette formule se diffuse, même pour des personnes qui iraient vivre dans le bureau des autres. “C’est un gros avantage, on a une surface de2ux fois plus grande pour le même prix”, se félicite-t-il, en citant seulement les frais de ménage plus réguliers, essentiels à la bonne cohabitation. Un levier efficace pour “mieux utiliser l’existant et réduire l’intensification carbone des bâtiments”. Alors qu’il réfléchit à ouvrir un deuxième espace comme celui-ci dans le même immeuble, Cédric Ringenbach considère que cette solution devrait être encouragée par la mairie pour limiter la crise du logement à Paris.