En octobre dernier, transonore a assisté à la présentation, à la Gaîté Lyrique, du rapport « Injustice climatique ». Une enquête de deux ans et demi, menée par l’association Ghett’up pour mieux comprendre les injustices environnementales subies par les habitant.es des quartiers populaires et la position des jeunes de ces quartiers sur l’écologie.
“Si cela vous paraît naturel d’associer climat et quartiers riches, alors pourquoi est-ce que ce serait différent pour nous ?” Pour Féris Barkat, cofondateur de Banlieues Climat, il est temps de changer l’imaginaire collectif autour des quartiers populaires. Le rapport de Ghett’up nous aide à mieux comprendre pourquoi, alors que les habitant.es de ces territoires sont les plus affecté.es par la question climatique, et souligne l’importance d’associer leurs voix à la mobilisation.
La forte vulnérabilité des quartiers populaires face au réchauffement climatique est d’abord due à une injustice environnementale qui existe aussi à l’échelle internationale.
À l’occasion de la présentation du rapport, Yasmina Sahed, experte du GIEC, a rappelé que notre système polluant a gardé les traces de la colonisation : le réchauffement climatique touche d’abord les populations racisées des pays du Sud. C’est ce qu’on appelle l’écologie coloniale.
« On ne peut comprendre l’enjeu climatique indépendamment de notre héritage colonial. » Yasmina Sahed — experte du GIEC en développement durable et RSE.
Yasmina Sahed souligne que notre système est fondé sur un processus global d’appropriation et d’exploitation des richesses des nations du Sud par les pays du Nord. Hérité du colonialisme, ce système inégalitaire hyper polluant affecte directement les pays pauvres, premières victimes du réchauffement climatique.
Ce qu’il convient d’appeler le racisme environnemental ne se joue pas seulement à l’échelle internationale. Il existe aussi dans nos départements et à quelques minutes en métro de Paris, dans les quartiers populaires et les territoires ultramarins.
Comment se traduit cette injustice climatique à l’échelle des quartiers ? Pour le savoir, Ghett’Up a interrogé des experts et analysé les témoignages d’environ 1 000 jeunes qui y vivent.
80 % de ces jeunes sont touchés par l’insalubrité des espaces publics et privés qui les entourent. À cette insalubrité s’ajoutent les problèmes de nuisances sonores, de pollution de l’air, de manque d’accès à des structures des espaces verts, de soins et à une alimentation saine. La liste est longue et, selon Ghett’up, on ne fait pas toujours le lien entre ces problématiques et l’écologie, alors qu’elles sont directement liées à l’injustice climatique.
Si les habitants et les jeunes des quartiers populaires sont les premiers touchés par l’injustice climatique, pourquoi n’associe-t-on pas leurs visages à la mobilisation écologique ?
Dans les quartiers populaires, beaucoup de jeunes rencontrent des difficultés financières. D’après le rapport, 53 % d’entre eux ne s’engagent pas par manque de temps. Par exemple, parce qu’ils ont un voire plusieurs boulots. Dès lors, il devient difficile de s’investir face à l’urgence de la fin du monde lorsque boucler les fins de mois est une angoisse récurrente.
De ces témoignages, il ressort également le sentiment d’avoir du mal à s’identifier à des figures de la mobilisation écologique. Les jeunes ne se sentent pas représenté.es par le mouvement et, de manière générale, mal représenté.es médiatiquement.
Ces facteurs limitent forcément leur adhésion à une mobilisation publique d’envergure. L’une des pistes, selon Ghett’up, serait de valoriser les figures militantes issues des quartiers populaires afin de diversifier les modèles engagés pour le climat. Ce qui permettrait aussi de se défaire des préjugés sur les quartiers populaires.
Manifestations ou mobilisations des militant.es écologistes comme à Sainte-Soline: l’engagement est souvent lié à des épisodes de désobéissance civile. La crainte de heurts avec la police est un frein de plus à la mobilisation des jeunes des quartiers pour le climat.
Trajectoire migratoire et écologie inconsciente
Faut-il conclure que les jeunes des quartiers ne se mobilisent pas ? D’après le rapport, la solidarité, l’éducation, l’insertion et l’égalité des chances sont en fait les thèmes phares de leur engagement, loin devant le climat. Un engagement qui fait écho au manque d’infrastructures et à l’enclavement ressentis par 70% d’entre eux.
Et l’écologie dans tout ça ? Beaucoup de jeunes s’investissent dans des missions à l’international en lien avec l’environnement Des missions dans des pays anciennement colonisés, aujourd’hui touchés de plein fouet par le dérèglement climatique.

Dans son rapport, Ghett’up parle également d’une “chaîne de transmission écologique” qui prend racine, pour les héritiers de l’immigration, en Afrique ou en Asie. Une écologie ordinaire, invisible et pourtant bien réelle.

Les vêtements donnés par les grands frères et les grandes sœurs aux plus petit.e.s, les boîtes pour conserver les restes, la solidarité entre voisins: beaucoup de gestes sont intégrés culturellement par les familles des quartiers populaires. Si ces habitudes ne sont pas identifiées comme des pratiques « éco-responsables » ou « sobres », elles sont pourtant des exemples d’une consommation plus raisonnée que l’on ne valorise pas assez.
Le rapport permet ainsi de comprendre où se situe l’engagement des jeunes des quartiers tout en montrant qu’ils font partie de la solution sur le plan écologique.
Plusieurs initiatives sont ainsi valorisées dans le rapport. Le combat de la militante Diangou Traore contre les violences policières et le mal-logement dans le quartier des Franc-Moisins ou encore le média The Impact Story, fondé par Mamadou Dembele, qui met en lumière les acteurs de la transition écologique et sociale.
Ciao l’écologie élitiste !
Pour Irène Colonna, de makesense, et Diangou Traoré, il est aujourd’hui essentiel de revoir notre manière de dialoguer à propos de l’écologie. Parler d’écologie ne doit pas être un moyen de se distinguer ni de donner l’impression à ses interlocuteurs qu’on les prend de haut. D’autant que le mot « écologie » peut parfois faire peu. Pour beaucoup, il renvoie à des connaissances scientifiques et des concepts difficiles à maîtriser.
Parler avec les jeunes des quartiers populaires, c’est parler à des citoyen.nes très concrètement confronté.es à la discrimination environnementale et à l’injustice climatique. Il s’agit donc d’engager un dialogue horizontal dans lequel chacun.e se sent en confiance et peut apprendre à et de l’autre.
On espère que ce billet vous aura donné envie de lire le rapport pour en savoir plus.
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