Sophiane Nafa est le responsable du centre social et culturel Espace 19 Curial Cambrai, dans le 19ème arrondissement. Très actif dans le quartier, il y organise plein d’événements avec son équipe. Récemment, avec d’autres associations, il a eu l’idée de faire un tiers-lieu par et pour les habitant•e•s du quartier. Une idée rapidement concrétisée grâce au savoir-faire de la coopérative grand huit (voir article XX). Ce tiers-lieu, c’est le TLM, une ancienne gare de marchandises. 

Pouvez-vous nous raconter comment ce projet du TLM a vu le jour ?

Sophiane Nafa : On s’est rencontré avec d’autres associations du quartier, juste en bas du centre social Espace 19. Marie-Thérèse Leblanc, cofondatrice de l’association Les couleurs de Pont de Flandre, a eu la bonne idée de nous parler de Clara Simay, l’architecte de grand huit, qui s’est occupée de la Ferme du rail, un tiers-lieu qui se trouve un peu plus haut. On l’a rencontrée et on a été très emballé à l’idée de créer un tiers-lieu par et pour les habitant•e•s. Clara nous a ensuite présenté Alexandre Born de la foncière solidaire Bellevilles, et Elsa de la Textilerie, qui ont aussi été séduits par le projet. Puis, on s’est rapproché de Mam’Ayoka et de sa fondatrice, Sophie Lawson. Elle habite le quartier et tient un restaurant d’insertion. Au fur et à mesure, le groupe de travail s’est constitué. C’est ainsi que le projet est né, en associant les compétences et les envies de chacun.

Comment avez-vous tenu les habitants informés tout au long de la construction et de l’évolution du projet ?

S.N.: Juste après l’appel à projets, on a ouvert le TLM en 2022. C’était une phase de préfiguration, pour voir comment exploiter ce lieu en attendant que les travaux commencent. Finalement, on a décidé de ne pas attendre et d’ouvrir rapidement pour commencer à animer l’espace. On a lancé différentes actions, comme des concerts, des animations pour les familles, et même des événements comme une chasse aux œufs de Pâques. Cette pré-ouverture leur a permis de s’intégrer dès le début au projet avec tous ces événements organisés. 

Les habitants ont-ils pu apporter des demandes spécifiques concernant le lieu ?

S.N.: Oui, on a construit le projet en prenant en compte leurs demandes. Pour ça, on a mené un diagnostic, avec une concertation, pour connaître les besoins des habitants et des partenaires associatifs. Par exemple, on a ajusté les prix en fonction de ce qu’ils pouvaient se permettre, car c’était l’une des principales demandes des habitant•e•s. On a aussi créé des forfaits pour accueillir des événements comme les anniversaires d’enfants ou les enterrements… On a réalisé qu’il y avait une forte demande pour ce genre de service.

Y a-t-il un véritable brassage culturel dans ce tiers-lieu ou avez-vous des difficultés à attirer certains habitant.e.s ?

S.N.: On a deux types d’habitants dans le quartier. D’une part, les habitants qui vivent dans des logements sociaux, etc, qui ne fréquentent pas spontanément la structure. Et, d’autre part, des habitants plutôt bobos du territoire qui consomment. On a constaté que lorsque Espace 19 organise des événements, ça fait venir un public plus âgé et plus multiculturel, donc il y a plus de monde. L’inauguration, par exemple, c’était vraiment un bon moment… Une belle mixité ! Quand on n’organise pas, finalement, ces gens-là ne viennent pas spontanément. Les jeunes sont venus d’eux-mêmes pour regarder les matchs de foot, le PSG notamment en Ligue des champions. Mais s’il n’y a pas d’accompagnement, si ce n’est pas nous qui organisons, les habitant•e•s du quartier sont absents, alors qu’il y a une  programmation et de la communication autour. 

Comment expliques-tu ce phénomène ?

S.N.: Je pense que c’est une question de culture. Pour certaines personnes, il n’est pas habituel de fréquenter un lieu où hommes et femmes se mélangent. Et il y a la barrière du prix, c’est-à-dire que pour nous, si c’est 1€, ça reste peu cher, pour les femmes des quartiers populaires, mieux vaut le fait maison. Pour ces mères-là, manger à l’extérieur ne se fait pas, il faut que les femmes sachent cuisiner d’elles-mêmes. Et puis, ce sont des pratiques culturellement plus occidentales, d’aller dans un café, dans un restaurant… Ce n’est pas une habitude pour eux/elles. Aussi, financièrement, ils ont tous beaucoup d’enfants, donc qui on ramène, qui on ne ramène pas ? Il y a plein de choses qui font que c’est compliqué. Après, elles peuvent venir quand elles se sentent en confiance, quand c’est avec le centre social et qu’elles ne consomment pas forcément. 

Quelle est la prochaine étape du développement du projet pour les habitant.e.s ?

S.N.: Nous devons encore travailler sur la signalétique du lieu et continuer à communiquer pour attirer plus de monde. Le TLM a une terrasse qui peut accueillir beaucoup de personnes. Nous espérons que la fréquentation augmentera et que nous pourrons pérenniser le modèle économique. Pour cela, il est essentiel de maintenir cette mixité et cette collaboration avec les structures associatives du quartier. Et prochainement, on aimerait embaucher un médiateur culturel qui puisse faire l’interface entre le quartier et le terrain. 

( encadré ) Que faire au TLM ?

Ancienne gare ferroviaire de Transport Logistique Marchandises, le TLM est depuis peu un tiers-lieu. La participation des habitant•e•s du quartier à l’éco-construction et à la vie de ce lieu est fondamentale. Grâce à la collaboration des associations locales, le TLM accueille plusieurs espaces et propose plusieurs activités : 

  • Un restaurant d’insertion porté par la coopérative Mam’Ayoka, traiteur solidaire et éco-responsable qui propose une cuisine du monde à petits prix. 
  • Une friperie de l’association La Textilerie, au rez-de chaussée, qui organise aussi des ateliers de couture et d’upcycling. 
  • La mezzanine, une grande pièce située tout en haut du TLM, qui peut être privatisée par les habitant•es et les associations pour des événements ou des fêtes. 
  • Une estrade, dans la salle principale, pour organiser des concerts et des spectacles.
  • Une grande terrasse extérieure, sur la voie ferrée de cette ancienne gare, où l’on peut se poser, par exemple pour prendre un verre ou grignoter ou simplement pour profiter du beau temps.

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