Depuis septembre, le département de la Seine-Saint-Denis expérimente la Sécurité sociale de l’alimentation, en proposant aux plus précaires de financer leurs achats alimentaires. Alors qu’une proposition de loi vise à étendre ce type d’expérimentations, transonore dresse un premier bilan.

“Ils ne connaissaient pas ce légume, mais ils ont kiffé !”, s’exclame Jocelyne, devant le chou romanesco – aussi appelé brocoli à pomme – de l’épicerie Biocoop à Montreuil. Grâce à l’expérimentation de la Sécurité sociale de l’alimentation, cette mère célibataire au RSA a pu faire découvrir de nombreux fruits, légumes ou aliments bios à ces deux ados. Devant la lessive en vrac, la sauce tomate bio ou les pâtes colorées, ses yeux pétillent désormais comme un enfant dans un magasin de jouets. “Avant, je ne pouvais pas me permettre de venir ici et d’acheter des produits de qualité”, retrace-t-elle, en indiquant avoir souvent du mal à joindre les deux bouts. 

Pendant 6 mois, Jocelyne a été créditée de 50€ par membre de la famille pour faire ses courses. Comme elle, 215 foyers précaires ont reçu la carte Vital’im à Montreuil. Une sorte de titre restaurant utilisable partout et dont le montant est bonifié de 50 % pour les achats de produits durables, comme les fruits et légumes frais. Pour des courses de 100€, Jocelyne pouvait ainsi recevoir près de 30€ supplémentaires pour de prochains achats. Objectif : laisser les bénéficiaires libres de consommer ce qu’ils souhaitent et même d’aller au fast food, tout en donnant un bonus pour l’alimentation de qualité. “Ça m’a vraiment aidée à changer mes habitudes pour faire attention à ce que je mange, à réduire mes allergies et mieux gérer mon hypertension”, se félicite Jocelyne, qui aimerait voir le dispositif se généraliser. 

Les expérimentations pourraient se multiplier

Une proposition de loi présentée le 20 février à l’Assemblée nationale vise justement à soutenir financièrement ce type d’expérimentations locales. “Cela va tout à fait dans le sens de que nous défendons”, salue Tessa Chaumillon, déléguée au Plan Alimentaire Territorial de Seine-Saint-Denis. “Nous avons observé une utilisation massive du dispositif pour cette première expérimentation, avec près de 67 % des ménages qui ont profité de la bonification en se tournant vers des produits durables.” 

Au-delà de la précarité alimentaire, l’idée est en effet d’améliorer la santé des bénéficiaires et d’accompagner les producteurs dans leurs offres de produits durables. “Le constat est que l’aide alimentaire répond seulement aux situations d’urgence et souvent avec des produits ultra transformés. Face à la crise économique, sociale et environnementale, nous avons souhaité proposer un accompagnement pérenne”, explique Tessa Chaumillon, également membre du parti Les Écologistes. 

Le coup de pouce financier ne suffit pas

Au-delà du transfert monétaire, le parcours propose ainsi aux bénéficiaires des ateliers de cuisine et de sensibilisation, ainsi que des visites pour découvrir sur le long terme les lieux de solidarité autour de l’alimentation. “J’ai appris à cuisiner les courges”, rapporte ainsi Jocelyne, regrettant néanmoins que certains ateliers ne soient pas accessibles aux enfants. 

Elle rapporte aussi avoir eu du mal à franchir la porte des magasins bios, fréquentés par les plus riches. “Quand nous sommes arrivés la première fois dans le Biocoop, je me suis sentie un peu jugée, j’étais la seule noire, mais maintenant, ils me connaissent et cela se passe très bien”, indique la mère de famille. L’accès à l’alimentation durable n’est ainsi pas qu’une affaire d’argent mais aussi de codes sociaux. “Avec la carte, l’enjeu est d’éviter le côté stigmatisant des distributions alimentaires pour permettre de casser les barrières socio-culturelles”, explique Fanny Mantaux, membre de l’association Action contre la faim qui pilote le dispositif avec le département. Alors que l’opération se termine à Montreuil, elle se déploie désormais dans 3 autres villes de Seine-Saint-Denis, pour un coût total de 2 300 000 euros, dont 1,5 million financé par l’État.

Alors que sa carte Vital’im a été désactivée, Jocelyne la garde bien précieusement dans son porte-monnaie, “au cas où”. Elle continue de fréquenter le Biocoop, mais uniquement lorsqu’elle a assez d’argent. Sinon, elle se résout à retourner au supermarché, plus abordable, mais désormais moins désirable

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