Au cœur d’Aubervilliers, une oasis résiste aux logiques de bétonisation. Ici, les plantes migrent, les souvenirs bourgeonnent, les habitants cultivent.

Nichée au pied des laboratoires d’Aubervilliers – lieu consacré à tous les champs de la création artistique -, sur ce qui fut jadis une dalle de béton, se construit depuis plus de dix ans une aventure à la fois poétique, politique et profondément ancrée dans le territoire. À l’écoute des plantes comme des gens, elle est un organisme vivant, changeant, vibrant. “ Le jardin me parle et je lui réponds, nous nous connaissons ”, souffle Alice Gigot, coordinatrice du projet, assise en tailleur dans son “ coin préféré ”, effilochant doucement des brins d’herbe. Autour d’elle, le bourdonnement des insectes, l’humidité de la terre et les effluves de menthe composent une atmosphère apaisante, presque méditative.

Mais ce mercredi-là, l’air est chargé d’un autre parfum : celui du feu de bois et de la pâte levée. C’est le jour de l’atelier “Four à pain” – en version pizza cette fois. Construit en terre crue, le four traditionnel trône dans le jardin, comme un totem de convivialité. “ Le four a été monté avec les habitants du quartier en deux semaines,” raconte Alice. Des groupes se forment autour de la table  pour étaler la pâte, garnir les pizzas avec des légumes, les enfourner. “ Ici, on cuisine ensemble, comme on jardine ensemble. Chacun met la main à la pâte – littéralement”, sourit une participante de l’atelier. Le four crépite, les flammes lèchent doucement les bords des pizzas. À la sortie, les parts sont partagées autour d’une grande table. On parle du temps, de recettes et de souvenirs d’enfance. 

Créée en 2010-2011 par l’artiste slovène Marjetica Potrč, avec l’agence RozO et Guilain Roussel, La Semeuse se définit comme une “ plateforme de recherche pour une biodiversité urbaine ”. Elle a pour vocation de reproduire des plantes exogènes ou peu commercialisées, tout en questionnant la notion d’indigène. Le titre du projet, La Semeuse ou le devenir indigène,  évoque une ville en “ reconfiguration permanente”, où les plantes, comme les personnes, circulent, s’adaptent, prennent racine.

En flânant dans l’espace, on découvre une végétation foisonnante comme des arbousiers nord-africains : “ Quand des personnes d’origine algérienne, tunisienne… voient l’arbousier, ça leur évoque plein de souvenirs ”, confie Alice. Les plantes, ici, ne sont pas seulement vivantes : elles sont porteuses d’histoires, de mémoires, de liens invisibles entre les continents et les générations.

Chaque matin, Alice ouvre le jardin, salue les fruitiers – poiriers, pommiers, figuiers… – et commence à arroser. Le long du mur exposé au sud, la chaleur accumulée stimule les pousses les plus fragiles. “ C’est comme les murs à pêches de Montreuil ”, glisse-t-elle. Devant, une sorte de pergola en bois sert de point d’accueil. Là, on échange des graines, des outils, parfois juste un café. Refuge et place publique à la fois, La Semeuse est un lieu de passage, de retrouvailles, d’expériences partagées. “ Des gens viennent ici simplement pour respirer. Certains retrouvent des odeurs qu’ils croyaient oubliées ”, raconte Alice. 

La biodiversité cultivée ici est celle des habitants d’Aubervilliers, dans toute leur richesse. “Ce n’est pas un jardin figé, mais un organisme vivant, qui mute selon les saisons et les personnes ”, insiste la coordinatrice. Les bénévoles, les riverains, les enfants participent à cette transformation.  Ce n’est pas un jardin partagé comme ceux qu’on voit dans les parcs, où chacun cultive sa parcelle. Ce sont les gens, ensemble, qui font le lieu. 

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