Mathieu Safa, éco-concepteur de 28 ans, donne la possibilité aux jeunes de fabriquer un jeu de société du début à la fin, en produisant le moins de déchets possibles  et en partageant toutes les notices gratuitement sur internet. Une inspiration pour imaginer les jeux de demain.

Une planche de bois, zéro colle et un maximum de fun. À l’heure où l’on s’arrache les derniers jeux de société comme des best-sellers, Mathieu Safa propose de jouer simplement. De la conception des règles à celle des pions, son association Jeux 25-25 (en référence aux dimensions d’un plateau de jeu) permet aux enfants de fabriquer leurs propres jeux de la façon la plus écologique possible. Principalement assemblés en Chine, les jeux de société dont nous sommes de plus en plus friands présentent un important bilan carbone. Selon une étude des professionnels du secteur mené en 2021, la production d’un grand jeu de plateau émet en moyenne 4kg de CO2, soit l’équivalent d’un trajet de 40 km en voiture. « Au début, j’avais la volonté de créer des jeux dans un but commercial, mais je me suis confronté à un mur, avec des éditeurs qui achètent à des prix dérisoires et qui se font des marges importantes », retrace Mathieu, qui a finalement décidé de faire vivre la culture du libre, en proposant la notice de ses jeux en open source.

Faire aussi simple que les échecs

Pour lui, tout a en effet commencé avec un des jeux les plus populaires du monde : les échecs. « En école de design, on passait notre temps avec un ami à jouer aux échecs sur téléphone. On s’est dit que c’était fou de jouer à un jeu basique en 2D alors que des plateaux très esthétiques existent depuis longtemps », raconte Mathieu Safa. Ils décident alors d’appliquer ce principe pour fabriquer des jeux de plateau très simples, en deux dimensions et en utilisant le moins de matière possible. Le projet étudiant devient un petit phénomène et « transforme la cour de récré en cours de jeu ». Avec la Covid, Mathieu décide de continuer le projet et commence à intervenir,  à la demande de la Cité Fertile, un tiers-lieu autour de la transition écologique à Pantin. C’est ainsi qu’il met un pied dans l’animation d’ateliers et découvre par la même occasion les FabLabs, laboratoires de partage des connaissances et de fabrication manuelle, ouverts à toustes.

Remettre au goût du jour un des plus vieux jeux de l’humanité

Il cherche depuis à faire revivre d’anciens jeux tombés dans l’oubli pour les partager au plus grand nombre. « Le Roi d’ours est par exemple le plus vieux jeu du monde qu’on connaisse en Europe. Il a été inventé il y a 6000 ans en Mésopotamie. Il n’y a donc pas de droit d’auteur, on peut ainsi le recréer et aussi le vendre. » À partir d’archives, de bases de données ou de recherches scientifiques, Mathieu Safa explore l’histoire du jeu pour y trouver les meilleures pépites.

Lorsqu’il intervient en classe avec des enfants, il leur fait découvrir des jeux du monde entier. « C’est super, parce que cela permet d’aborder plein de notions transverses : en s’intéressant par exemple à un jeu d’Éthiopie, on va faire de l’histoire, de la géographie, on va faire des maths en comptant les points, travailler la rédaction en réalisant les règles, etc… » Une façon de revenir à l’essentiel de l’apprentissage par le côté ludique. Il permet aussi parfois aux participant.es de créer leur propre jeu pour aborder des thématiques écologiques. Par exemple, des jeunes de la maison de quartier des Quatre Chemins à Pantin ont réalisé une sorte de Uno, dont l’objectif est de recycler un maximum de plastique. Un jeu accessible gratuitement et réalisable par tout le monde. 

Si les règles peuvent être inventées ou adaptées, la technique de conception reste la même. Jeux 25×25 emploie uniquement des matières durables et de proximité, en réduisant au maximum les déchets. « J’utilise du contreplaqué issu de forêts durables, le bois est produit à moins de 300 km et je récupère des chutes à droite, à gauche. » Pour la conception, Mathieu utilise les machines en libre-service des fablabs, à partir d’un unique procédé de fabrication pour n’enlever que 5% de matière maximum sur chaque planche utilisée. Le tout est ensuite acheminé à vélo, avec lequel il dit « avoir fait le tour du monde ». Un effort écologique “un peu dur physiquement”, avec également des groupes d’enfants parfois difficiles à gérer. Pour explorer de nouvelles voies, il vient d’accepter un nouveau poste de référent pour l’atelier ouvert de l’école des Arts et Métiers de Paris. Preuve que lorsqu’on commence à essayer l’éco-conception, on risque de se prendre au jeu. 

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