Alors que les pouvoirs publics tentent de réguler la fast fashion, responsable d’importants dommages sociaux et environnementaux, l’association Mode Estime esquisse une nouvelle alternative. De la fédération de football à de grandes marques de prêt-à-porter, son modèle fondé sur l’insertion est de plus en plus plébiscité.
Les machines à coudre tournent à plein régime et les découpes s’enchaînent. À notre arrivée, les couturières prennent pourtant le temps de lever la tête et de sourire. L’atelier de Mode Estime, situé sur l’île Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis, est à l’opposé des grandes usines que nous avons l’habitude de voir dans les documentaires dénonçant la fast-fashion. Ici, on produit des sacs, des vêtements ou des objets textiles mais en favorisant l’insertion sociale et le recyclage des matériaux.
« Si la filière textile « fait autant de mal » en terme environnemental notamment, elle doit pouvoir faire autant de bien », a l’habitude de dire Alice Merle, la directrice de l’association. Après avoir remarqué une absence de vêtements adaptés aux personnes porteuses de handicap, cette passionnée de couture lance en 2011 une production inédite, à la fois pour et par les personnes vulnérables. Très vite, face à la demande, l’atelier élargit le spectre des personnes accompagnées, et enrichit sa gamme d’un volet écologique.
Aujourd’hui, une vingtaine de personnes y apprennent pas à pas la couture dans l’optique de se rapprocher de l’emploi. Des personnes en fin de droits de chômage collaborent avec des réfugiés pour constituer une réelle chaîne de production, dans une ambiance chaleureuse.« On utilise la couture pour cultiver la confiance en soi et l’estime aux autres », explique Alison, l’encadrante technique de l’atelier, pour qui le mot “estime” prime sur la “mode”.
La couture pour apprendre les “soft skills” ou compétences “douces”
Apprendre à être à l’heure, à respecter les consignes et à ne plus être seul.e à la maison… l’apprentissage est une façon de remobiliser plus largement. « La couture permet de voir ce qu’on a créé et d’être fière de son travail », explique Hawa, conseillère en insertion. En plus du travail, les personnes accompagnées bénéficient régulièrement de rendez-vous et de conseils d’orientation.
« J’ai beaucoup appris ici et surtout, je suis heureuse quand je viens travailler », témoigne Josie Franka, couturière à Mode Estime depuis un an et demi. Dans six mois, elle sera pourtant obligée de quitter son poste. L’enseigne n’embauche que pour une durée de deux ans maximum afin de continuer à assurer ses missions d’insertion. Pas de quoi décourager Josie Franka qui pense déjà à se reconvertir dans le métier de brancardière. Comme elle, la majorité des bénéficiaires évolue vers d’autres horizons que la couture, “aussi bien dans la restauration que la sécurité”.
Plutôt considérée comme un prétexte, la pratique de la couture permet aussi aux bénéficiaires d’être capable de gagner en autonomie, de réparer leurs propres vêtements et de partager leurs savoir-faire. « Si la couture est un emploi majoritairement féminin ici, nous avons déjà eu des Afghans qui savaient très bien coudre parce qu’il s’agit là-bas d’un métier plutôt masculin », rapporte, par exemple, Alison.
En plus de ces compétences, l’enseigne insiste sur le réemploi des tissus, pour leur éviter la poubelle. La Fédération Française de Football (FFF) leur a ainsi proposé de réutiliser d’anciens drapeaux et banderoles du Stade de France, situé à 3 km des ateliers, pour les revaloriser en sacs à destination des sportifs.
Un prix défiant toute concurrence
Fort de ces quelques partenariats, de nombreuses entreprises cherchent désormais à collaborer avec Mode Estime pour des productions écoresponsables. Sac à langer pour bébés, poches, ou vêtements sur mesure, la production s’ajuste à chaque demande, pour des clients allant de France TV à Louboutin. “Pour l’instant, on est sur la production de 500 sacs, quand d’autres ateliers sont plutôt à 5 000 voir 10 000”, rapporte Alison, en insistant tout de même sur la qualité reconnue du travail de l’association. Car en plus de la mission sociale et environnementale, la production présente bien souvent un prix défiant toute concurrence. “Entre 2 et 50 euros maximum par produit, alors que les ateliers de couture se font de plus en plus rares en France.” Bénéficiant d’un accompagnement public, l’enseigne est en effet tenue implicitement de ne pas trop en profiter.
En tant que modèle d’une nouvelle filière textile à réinventer, Mode Estime ne cesse de croître. En plus d’un laboratoire pour commencer à confectionner des produits “plus élaborés”, l’enseigne vient d’ouvrir un nouveau site à Lyon pour proposer des vêtements valorisés par le recyclage et adaptés aux personnes malades, comme des bonnets pour les personnes traitées par chimiothérapie. Un pied de nez au prêt-à-porter encore trop excluant pour les personnes en dehors des tailles standards et une lueur d’espoir pour dessiner le futur d’une mode engagée, écologique et bon marché.