Un samedi de mars à 18h. Une marée de t-shirts violets inonde le canal Saint-Martin, à Paris. "Piétinons ensemble les violences sexistes et sexuelles !" lance une voix dans un mégaphone, galvanisant les coureur.seuses rassemblé.es sur la ligne de départ. Sous leurs foulés, la place de la République vibre pour la septième édition de la Sine Qua None Run.

Derrière la Sine Qua None Run, une conviction forte, celle de réinvestir l’espace public, trop souvent hostile aux femmes. Depuis sa création, en 2018, la course n’a cessé de croître. 800 participants pour la première édition, 6000 aujourd’hui, sans compter les 70 000 personnes qui ont rejoint la version digitale de l’événement. « Le sport peut changer la société », affirme Mathilde Cache, présidente et co-fondatrice de l’association Sine Qua Non. Son engagement fait écho à beaucoup de femmes : « J’ai été victime d’agressions sexuelles au sein de mon entreprise. La colère était en train de me détruire et pour la canaliser, moi qui n’étais pas du tout sportive, j’ai chaussé des baskets et je me suis mise à courir », explique-t-elle. 

Une prise de conscience partagée par les hommes, qui représentent aujourd’hui 40% des coureurs. « C’est essentiel, on a besoin d’eux pour faire évoluer la société. Ce n’est pas qu’un sujet de femmes, c’est une question de vivre-ensemble », souligne la présidente de l’association. Au milieu de la foule, Romain, 39 ans, DJ, a découvert l’événement par hasard en cherchant une première course sur le site de la ville de Paris. « J’ai vu que c’était pour une bonne cause et je me suis dit que c’était ce qu’il fallait faire. » Il court le 6 km, conscient que pour lui, homme, courir seul à n’importe quelle heure ne pose aucun problème. « Pour les femmes, c’est encore compliqué. C’est important de soutenir cette cause. » 

Léa, ambassadrice de l’association dans le 18e arrondissement de Paris, anime toute l’année des squads, des sessions de running collectif destinées aux femmes. « On court sur les grands boulevards, on monte les marches du Sacré-Cœur pour le défi physique, mais aussi pour montrer qu’on est là, que cet espace nous appartient autant qu’aux autres, » explique Léa. L’association agit également en Seine-Saint-Denis, où la maire d’Aubervilliers et le maire de Saint-Denis courent parfois avec les groupes: “Aubervilliers et Saint Denis sont des villes très engagées dans l’égalité femme-homme “, se réjouit la jeune femme. 

Le manque de présence féminine dans l’espace public est une réalité que dénonce aussi Débora, 33 ans, directrice adjointe en centre de loisirs. Elle a commencé la course à pied pendant le Covid, en 2020. « Petit à petit, j’ai augmenté les kilomètres. Maintenant, je fais aussi les Sine Qua None Squads à Aubervilliers. » Elle court pour montrer que les femmes ont leur place dehors, à toute heure. « Le soir, à Aubervilliers, il y a peu de femmes dans la rue. Courir ensemble montre qu’on est là, qu’il ne faut pas avoir peur. » Linda, 21 ans, étudiante en droit à Saint-Denis, a découvert la course via une influenceuse. Voilée, elle perçoit aussi une autre dimension dans l’événement. « En tant que femme et en tant que femme voilée, c’est très important aussi. »

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : à moins de 11 ans, 70 % des filles font du sport. Mais passé cet âge, le taux chute à 20 %. L’une des raisons principales ? Le manque de rôles-modèles féminins et la peur de l’espace public, selon les représentantes de l’association. « Quand on est une femme, aller courir seule à la tombée de la nuit n’est pas anodin. On choisit un itinéraire, une tenue, on se pose mille questions, parce que, bien souvent, on a peur », insiste Mathilde Cache 

L’engagement de l’association ne se limite pas à la course à pied. Elle investit aussi les terrains de sport urbains, avec des activités de football, de street workout et de skate. « On travaille sur ces espaces de pratique libre pour qu’ils soient véritablement accessibles à toutes », explique Mathilde Cache. Pour structurer son action, Sine Qua Non s’appuie sur des partenariats institutionnels et privés : Nike, InterSport, Strava, Sanofi, ainsi que la Région Ile-de-France et la Ville de Paris.

Sur la ligne d’arrivée, l’émotion est palpable. Les visages sont rouges et les souffles haletants. « Le message qu’on veut qu’elles retiennent, c’est d’oser, d’avoir plus de confiance, d’investir les rues », insiste Mathilde Cache. Julie, ambassadrice à Nantes, venue spécialement pour la course, en est convaincue : « C’est une des plus belles choses que j’ai pu faire cette année. »

Ici, courir n’est pas seulement une question de dépassement physique et de kilomètres, c’est un acte politique.

Crédits photo : Agathe Breton et Sophie Gateau

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