Alors que les discussions sur le budget projettent de couper dans le financement des tiers-lieux, la société civile tente de s’organiser en favorisant la coopération ou en demandant un droit au tiers-lieu. Le mouvement tente d’éviter de devenir un instrument de la gentrification des quartiers.

“Du jamais-vu !”, s’insurge l’Association nationale des tiers-lieux dans une pétition. Les financements accordés à ces espaces pourraient baisser de 80% avec la nouvelle version du budget de l’État, en recherche d’économies. C’est pourtant grâce à une politique volontariste du gouvernement que leur nombre a doublé en France depuis 2018, pour atteindre aujourd’hui près de 3 500 adresses

Considéré comme le troisième lieu de vie après le domicile et l’espace de travail, le tiers-lieu n’est pas facile à cerner. Lieu de convivialité, de mixité et de création, il permet surtout la libre contribution de tous les usagers, selon l’Observatoire des tiers-lieux qui en donne une définition en cinq critères. Malgré une diversité de modèles, près de la moitié du chiffre d’affaires des tiers-lieux proviendrait de subventions publiques. “Ce modèle hybride est à double tranchant”, indique Rémy Seillier, directeur adjoint du groupement d’intérêt public France tiers-lieux. ”L’État se dit sûrement que ça pourra continuer à se développer sans les subventions.”

Le problème, c’est que les espaces les plus aidés par les pouvoirs publics sont ceux qui proposent le plus d’activités d’intérêt général. Alimentation saine et durable, commerces de proximité, lien intergénérationnel“Le gouvernement a-t-il réellement mesuré le coût humain et économique, à court et long terme, de la fermeture de nos lieux […] qui œuvrent à la résilience de nos territoires face aux crises écologiques, sociales, démocratiques et économiques ?”, interrogent alors les représentants du secteur. 

Les tiers-lieux profitent de l’essor du coworking et de la perte des bistrots

Pour autant, “le mouvement citoyen autour des tiers-lieux dépasse largement la politique publique”, nuance Rémy Seillier. Issue de la société civile, la dynamique de ces espaces accompagne depuis les années 2010 l’essor du coworking et la baisse de la fréquentation des anciens lieux de convivialité, comme les bistrots. “Si des magasins ou des marques comme Starbuck ou playstation tentent aussi de proposer des “third places”, c’est l’idée d’un espace hybride mêlant différents services, avec une économie collaborative, qui est, en France, privilégiée par la société civile et les pouvoirs publics”, retrace Antoine Burret, sociologue spécialiste des tiers-lieux. 

À côté d’autres espaces de convivialité existants, comme les kebabs ou les coiffeurs, ce sont donc les lieux d’expérimentation qui sont aujourd’hui mis en avant. “On peut ainsi voir apparaître des tiers-lieux qui ne répondent pas forcément à une communauté de territoires, mais où l’on va rajouter des choses spectaculaires pour attirer des gens de l’extérieur”, constate le chercheur. 

Et si on instaurait un “droit au tiers lieu” ?

Pour certains, il s’agirait même d’une stratégie délibérée des pouvoirs publics pour contrôler l’espace urbain. À Montreuil, les anciens occupants du squat de la Baudrière considèrent que les pouvoirs publics expulsent de plus en plus les lieux occupés de façon spontanée pour en faire des tiers-lieux et ainsi réduire les mouvements d’opposition. « Il y a un pompage de la culture squat avec une esthétique, le Do It Yourself et l’organisation d’évènements, dans des lieux où dorénavant tout est contrôlé », regrette Olive, un ancien occupant mobilisé. En ligne de mire : l’architecture éphémère qui permet à des associations d’occuper des bâtiments à l’abandon pendant quelques années avant qu’ils ne soient réhabilités. « Cela permet aux collectivités d’amener une dynamique et d’attirer d’autres populations pour gentrifier le quartier et vendre de futurs logements. Pour les associations, c’est épuisant d’être trimballés de lieux en lieux et cela ne permet pas de construire des réseaux solides », estime Olive. 

Face au possible désengagement de l’État, les réseaux se renforcent. « Les tiers-lieux et les squats sont solidaires, il y a du partage de stockage et du dialogue », assure Olive. « Les réseaux sont aujourd’hui solides, les tiers-lieux seront là, ils trouveront des modèles alternatifs en se serrant les coudes », confirme Rémy Seillier. « Que ce soit pour les personnes LGBT ou d’extrême-droite, on observe que lorsque l’on veut attaquer une communauté, on attaque son tiers-lieu », avertit Antoine Burret, en pensant notamment aux fermetures administratives de bars associatifs ou de salles de sport prononcées contre des groupuscules d’extrême droite à Lyon ou à Lille. “Pour sortir de la conception uniquement macroniste des tiers-lieux”, le sociologue propose ainsi l’instauration d’un droit aux tiers-lieux. 

Images : photos prises lors du cyclotour des tiers lieux d’Ile-de-France en août 2024. – Alban Leduc

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