Vous habitez à plus d’un kilomètre d’un commerce d’alimentation ? Vous êtes peut-être dans une “zone blanche alimentaire”. Une situation aux conséquences potentiellement néfastes sur la santé, que le département de la Seine-Saint-Denis tente d’évaluer et de résoudre. 

Les habitant.es de Villetaneuse sont parfois obligé.es de prendre le train pour aller faire leurs courses. Et si c’est pour acheter des produits de qualité, il faudra aller encore plus loin. Aucun magasin de produits durables n’est implanté dans cette ville. Une situation que l’on retrouve à Sevran ou Clichy-sous-Bois. 

Ces espaces, où les habitant.es ne peuvent se procurer des aliments sains (fruits, légumes, viande et produits laitiers frais) à des prix abordables, sont considérés comme des “déserts alimentaires” ou “zones blanches”. Elles commencent seulement à être étudiées, via les plans alimentaires territoriaux (PAT) développés localement, notamment après les défis d’approvisionnement rencontrés lors de la pandémie.

Un difficile état des lieux

“Le recensement des commerces sur le territoire est très approximatif et ce n’est pas facile de savoir en détail ce que propose un commerce. Si on sait qu’une boulangerie ne fournit pas de légumes frais, pour une épicerie, c’est plus compliqué”, indique Romain Dhainaut, animateur du PAT de Seine-Saint-Denis. Pour mieux saisir le paysage alimentaire urbain, le département a donc mis en place un comité scientifique composé de géographes, sociologues, nutritionnistes, juristes et spécialistes de l’environnement. En 2022, l’association Lab3S a été chargée de réunir toutes les données existantes sur l’alimentation pour proposer un état des lieux du territoire. 

Résultat, la distance moyenne qu’un habitant de Seine-Saint-Denis doit parcourir pour trouver un commerce de proximité est de 150 mètres, tandis qu’il lui faut en moyenne 1,2 km pour atteindre un marché proposant des produits frais. “Se pose maintenant la question de la mobilité, pour savoir à quel point les gens sont prêts à se déplacer pour aller faire les courses”, explique Romain Dhainaut. Pour le savoir, le département prévoit de mener des entretiens avec des habitants à un niveau plus local, en lien avec des associations ou des municipalités. 

Des “marécages alimentaires”

Avec cet observatoire de l’alimentation – désormais accessible aux collectivités locales – le département s’est aussi rendu compte que la part des fast-foods était bien plus importante que la moyenne nationale. La restauration rapide représente 63 % de l’offre

totale dans le département, tandis que la restauration traditionnelle ne compte que 36 % et la restauration durable 1 %. Une situation que certain.es nomment des “bourbiers (ou marécages) alimentaires”, soit des quartiers dans lesquels une offre alimentaire “saine” existe, mais apparaît noyée au milieu de l’offre d’aliments et de boissons très caloriques. 

“Il faut faire attention de ne pas rentrer dans une logique de culpabilisation. Si on fait intervenir des associations pour dire qu’il ne faut pas manger gras et sucré mais qu’il n’y a que ça autour, ça pose un problème”, questionne Romain Dhainaut. D’autant plus que les kébabs ou fast-food peuvent aussi être des lieux de socialisation, voire être considérés comme des tiers lieux. “Attention donc à ne pas vouloir “corriger” les pratiques alimentaires jugées “défaillantes” des populations précaires et à éviter les risques de gentrification inhérents à ces politiques interventionnistes”, écrit Simon Vonthron, chargé de recherche en géographie à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), dans une fiche ressource dédiée au sujet

Au-delà de l’accès, des barrières psychologiques à l’entrée

Alors que les déserts alimentaires pourraient augmenter la mortalité par insuffisance cardiaque, selon une étude menée aux États-Unis, comment faire en France pour les réduire ? “C’est très compliqué, mais la première étape est d’en avoir conscience. Ensuite, on peut essayer d’accompagner des réseaux comme les AMAP ou le réseau Vrac, qui proposent des commandes groupées de produits de qualité à moindre coût”, expose Romain Dhainaut. 

Enfin, le département tente de développer les incitations à aller vers les produits durables, pour dépasser certaines barrières sociales et psychologiques. Cette démarche pourrait permettre de démocratiser l’accès aux magasins bio ou de valoriser l’expérience et les pratiques d’approvisionnement déjà existantes, comme la fréquentation des petits commerces et commerces dits ethniques. Les premiers travaux d’observation engagés par la Seine-Saint-Denis intéressent en tout cas d’autres collectivités confrontées aux mêmes défis, comme l’agglomération de Paris, qui souhaite s’en inspirer. 

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