Dans une nouvelle série d’articles, transonore explore les solutions pour manger de façon écologique et bon marché. À Aubervilliers, Epicéas combine la collecte des invendus et les liens aux producteurs locaux pour proposer aux actifs en difficulté des produits de qualité, à prix cassés.

Des étagères remplies d’aliments en tout genre, des congélateurs professionnels et une caisse électronique… Epicéas a tous les attributs d’un supermarché et pourtant, Samia Achour l’assure, “Ici, c’est bien plus qu’une épicerie !”. Lorsque son mari perd son travail, elle se retrouve du jour au lendemain à devoir nourrir ses 6 enfants avec presque rien. Le foyer emprunte, économise, se bat avec la Caf pour percevoir le RSA qui n’arrive pas. Finalement, après deux mois de galère, la mère de famille décide d’aller frapper à la mairie pour demander de l’aide. « Vous auriez pu venir nous voir bien avant ! », lui répond le centre d’action sociale en découvrant sa situation. L’organisme municipal l’oriente alors vers Epicéas pour faire ses courses à bas prix. Pendant deux mois, Samia a ainsi accès au petit magasin, situé à proximité de la mairie d’Aubervilliers, pour acheter tous les produits de nécessité à des prix environ 90% moins chers que dans le commerce.

Rendre accessible l’alimentation bio et locale

Salade de radis, sauce aux blettes ou compote de rhubarbe : Samia nous montre fièrement les photos de ses réalisations. Pour garantir un accès au plus de personnes dans le besoin possible, elle n’a désormais accès qu’aux paniers de fruits et légumes bio à 1€ symbolique. “C’est essentiel pour avoir accès à de la qualité. Avec les prix qui ont augmenté, je ne peux plus me permettre d’aller au marché.”

Une solution rendue possible par un important réseau d’agriculture locale. La majorité des produits sont en effet cultivés sur les toits d’un centre commercial, à quelques kilomètres de là, par l’association CultiCime (écouter notre reportage). Pour les compléter, l’épicerie achète également à bas prix les stocks non écoulés de certains agriculteurs du coin, comme les oignons par exemple. Un système gagnant-gagnant que l’association cherche à développer pour bénéficier de nouvelles aides de l’État. “Mais ce n’est pas toujours facile de trouver des producteurs bio”, indique Claudine Pejoux, présidente d’Épicéas, dont le budget repose sur des subventions nationales, des programmes de la Caisse d’allocations familiales (CAF) et d’un loyer pris en charge par la municipalité. 

Aider les personnes en besoin et en dehors des cases

Depuis ses débuts, dans les années 2000, l’association tente de combler un trou dans la raquette des aides alimentaires: “C’était une commande politique. Il y avait des associations classiques, comme les Restos du cœur, mais rien pour les personnes qui travaillent et seraient en rupture de droits”, explique Claudine Pejoux. Elle a justement accueilli le jour-même un jeune qui vient de s’installer dans un foyer de jeunes travailleurs: entre la caution débitée et le salaire de l’alternance qui ne sera versé qu’à la fin du mois, il n’a rien pour manger.

À l’interstice des situations ou des cases préétablies, Épicéas recolle les morceaux, le temps pour les bénéficiaires de se remettre d’aplomb. Ici, les bénéficiaires peuvent être accompagné•es dans leurs démarches administratives par des écrivains publics et trouver conseil auprès des bénévoles. Une mission essentielle alors qu’Aubervilliers fait partie des villes les plus touchées par la pauvreté en France. “Mais cela devient de plus en plus difficile avec les services sociaux. On est par exemple obligé de mentir au téléphone pour entrer dans la bonne case et avoir un conseiller au bout du fil”, soupire Claudine. À l’inverse des institutions, l’association tente de recréer du lien humain et chaleureux. “C’est un échange. Ici, on partage des recettes et on discute. Plus qu’une aide, c’est un soutien, une famille”, sourit Samia. 

Du lien et de la dignité

Pour éviter à tout prix l’ambiance froide des supermarchés, les bénéficiaires ont rendez-vous à un horaire précis pour faire leurs courses. “Nous ne sommes généralement pas plus de 2 dans le magasin pour éviter de devoir étaler sa vie devant tout le monde, à la fin, lorsque l’on doit payer”, explique Samia, qui reconnaît que cela peut être un peu rabaissant ou gênant, au début, de venir chercher une aide alimentaire. En tant que mère de famille, elle se sent obligée de rester digne et de ne pas montrer qu’elle est dans le besoin. “Je prends ce à quoi j’ai le droit et quand je viens ici, j’oublie mes problèmes.”

Au-delà des estomacs, Épicéas cherche aussi à nourrir l’esprit et la dignité. À côté de l’épicerie, un magasin vend des vêtements et des produits d’hygiène neufs à 1,50 €. L’association parvient également à récupérer des cadeaux pour les enfants et à proposer des séances de cinéma ou de théâtre à bas prix pour toute la famille. Des à-côtés essentiels pour Samia, qui se rappelle, les larmes aux yeux, le jour où elle a pu offrir un cadeau d’anniversaire à sa fille. « Je lui avais dit qu’il n’y aurait peut-être pas de cadeau cette année et je suis finalement revenue avec une trottinette trouvée ici à 4 €, c’était incroyable ! »

Les produits alimentaires et du quotidien dépendent encore beaucoup du bon vouloir des supermarchés. En concurrence avec les paniers anti-gaspi, la récupération auprès de la grande distribution, qui ne prévoit souvent aucun personnel pour trier les produits à donner, serait malheureusement de plus en plus compliquée, expliquent les responsables de l’association. Alors qu’Épicéas a aidé 4 705 personnes en 2023, leur nombre devrait baisser cette année. En essayant également de recruter de nouveaux bénévoles, les responsables de l’association espèrent pouvoir accueillir plus de monde. 

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