En Ile-de-France, des éleveurs d’un nouveau genre permettent aux collectivités et aux entreprises d’entretenir les espaces verts de façon écologique. Alexandre Truchard est l’un de ces fermiers sans ferme citadins, qui tentent de composer avec la pollution et l’administration des villes.

Ce matin, c’est jour de naissance pour Alexandre. Une de ses brebis est en train de mettre bas. Mais l’accouchement n’a pas lieu dans une bergerie traditionnelle. C’est sur le terrain jouxtant un entrepôt, dans une zone industrielle de Pierrelaye, en région parisienne, que l’éleveur a installé ses troupeaux. « Quand je suis arrivé, il y avait des mauvaises herbes partout et jusqu’à 2 mètres de haut. En trois jours et avec une vingtaine de bêtes, la végétation s’est réduite à la taille d’un green de golf », raconte-t-il. Une tondeuse naturelle bien utile pour les entreprises et collectivités qui font appel à lui.

Pour réaliser les travaux d’entretien et sensibiliser le public, l’éco-pâturage est en effet de plus en plus plébiscité en ville. Avec un cheptel d’une cinquantaine de brebis, cinq vaches, un lama, plusieurs paons, poules, canards et des chevaux, Alexandre se déploie seul sur pas moins de 12 sites aux alentours et avoue « crouler sous les demandes ».

Rien ne le prédestinait pourtant à devenir fermier citadin. Après plusieurs années de stress, de malbouffe et de quête vaine de sens dans un boulot lié au transport de produits dangereux, il décide de tout plaquer pour apprendre le métier d’éleveur. Fort de son parcours dans la logistique, il parvient à convaincre des entreprises volontaires d’héberger ses animaux toute l’année pour entretenir leur site. Alors que la plupart des prestations d’éco-pâturage se déroulent sur un temps limité, avec plusieurs allers-retours des troupeaux et des équipements, Alexandre promet, de son côté, de donner aux animaux « tout le confort nécessaire directement sur place ». En bon fermier 2.0, il a ainsi troqué son gros 4×4 pour une voiture électrique afin de faire le tour des animaux presque tous les jours. Une organisation qui lui permet de faire de l’élevage sans avoir de ferme.

Sauver une race de brebis de l’extinction

Au-delà du service de tonte, l’éco-pâturage vise en effet à mettre en place des solutions écologiques concrètes. Il a choisi de s’occuper de brebis de la race rustique Thônes et Marthod pour permettre de les sauver de l’extinction et de pérenniser une diversité génétique en danger. « J’ai commencé avec 3 brebis que je suis allé chercher dans les Alpes, j’en ai aujourd’hui 85 », se félicite-t-il, alors que la race a bien failli s’éteindre au début des années 1970 et qu’elle comptait seulement 2500 individus il y a encore dix ans

Dans cette optique, l’agriculteur tente aussi de créer un circuit vertueux. Les brebis broutent l’herbe des endroits où elles sont déployées. Les nutriments du sol et de leur alimentation se retrouvent dans leur laine, ensuite utilisée pour enrichir les cultures d’arbres fruitiers et retenir l’humidité grâce à la technique du paillage. Mais cette alchimie est encore limitée par l’activité urbaine et ses nuisances. « L’entreprise d’à côté émet des poussières, dont les résidus se retrouvent dans les plantes que mangent les brebis. Certaines ont eu de graves problèmes aux yeux », se désole l’éleveur, en nous montrant une brebis à l’œil blanc.

Une nouvelle forme de transhumance ? 

Lier les activités d’élevage et les enjeux urbains peut parfois devenir compliqué. Le jeune éleveur reste ainsi bouche bée, lorsqu’il voit que certaines collectivités regroupent des animaux en pâturage sur de petites surfaces. « Ça ne sert à rien de mettre des animaux pour mettre des animaux », répète Alexandre, préférant varier les espèces en fonction de l’endroit à entretenir. « Comme les brebis n’aiment pas les orties, s’il y en a, je mets plutôt des chèvres ou des lamas. » Pour tous les animaux, il reste néanmoins attentif à l’espace dont ils disposent, exigeant un minimum de 2 000 mètres carrés pour 2 brebis. L’itinérance de son métier et l’absence de ferme lui permet ainsi de travailler avec les collectivités qu’il souhaite accompagner. Pour se lancer dans de nouveaux projets, il a ainsi récemment décidé de prendre la direction du sud de la France, en emportant avec lui tout son troupeau. Objectif, entretenir les prairies des stations de ski durant l’été. Une nouvelle forme de transhumance entre ville et campagne ? 

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